Chapitre 11

Chapitre 11.

 Les jours qui suivirent furent à la fois tous pareils et différents. Je me remettais lentement mais chaque soir, je pouvais noter les petits progrès accomplis. Je ne m'ennuyais pas et toute cette période me poussa à la réflexion. Il me semblait avoir grandi, être psychiquement plus fort.

Mon bonheur aurait été complet si tu avais été près de moi Petit Frère, mais j'acceptais maintenant la séparation comme inéluctable. Cela devait être et je ne ressentais plus ni tristesse, ni rancœur. Cela ne m'empêchait pas de te parler très souvent avec tendresse et beaucoup de sérénité car il me semblait te sentir angoissé, perturbé.

J'avais l'impression que tu traversais les mêmes difficultés que celles qui avaient été les miennes tout au long de ces derniers mois. L'osmose dans laquelle nous avions baigné, t'avait vraisemblablement fait vivre mes souffrances et ce drame avec beaucoup d'acuité.

Je parlais aussi très souvent de toi tant avec Enora qu'avec Devrig qui m'honorait chaque jour de sa visite. Je leur racontai tout et c'était bon de pouvoir m'épancher et même de partager, surtout avec Enora, l'émotion qui naissait souvent de mon récit.

Ils étaient curieux de toutes nos coutumes, de notre manière de vivre. Notre civilisation les avait peu atteints au coeur de cette Armorique sauvage, dernier bastion de la culture celtique.

J'avais voulu aborder le sujet de nos religions si différentes, je ne connaissais d'ailleurs rien à la leur, mais Devrig coupa court. Il me rappelait Claudius qui éludait mes questions lorsque je n'étais pas prêt à comprendre les réponses qu'elles appelaient. Je n'insistai donc pas, sachant que là encore, il me faudrait attendre patiemment que le moment soit venu. C'est perte de temps que de vouloir brûler les étapes, j'avais au moins acquis cette sagesse là.

Sur le plan physique j'eus à coeur d'être autonome le plus vite possible, ceci afin d'éviter à la jeune fille des tâches pénibles et peu ragoûtantes qui de plus, m'humiliaient.

Je crois que la dignité est une vertu qui va de pair avec la santé et le réveil de la première m'assurait du retour de la seconde.

Un matin, ma belle guérisseuse entra, un joyeux sourire aux lèvres.

- Joanes, aujourd'hui est un grand jour pour toi, tu vas faire tes premiers pas dehors. Non, n'aie pas peur, nous allons t'aider. Tout va très bien se passer. Bran ! Tu viens ?

Un jeune homme blond, revêtu d'une robe verte, entra et s'arrêta au milieu de la pièce. Gravement, il m'examina de la tête aux pieds et son regard croisant le mien, finit par s'adoucir.

- Bonjour Romain. Sois le bienvenu.

- Salut à toi, Bran. Je suis heureux de te rencontrer.

Il me présenta deux longues et fortes tiges de bois terminées par une fourche.

- Lève-toi et passe ceci sous tes aisselles. Non, cela ne va pas, c'est trop long. Je vais les retailler.

Il sortit pour parachever son travail et je posai un regard interrogateur sur Enora qui me dit :

- Bran est un barde. Peut-être sera-t-il druide un jour. C'est un très bon garçon et j'espère que vous deviendrez amis tous les deux. Vous avez à peu près le même âge et il sait être un joyeux compagnon. Cela te divertira un peu.

Le jeune homme revint et glissa à nouveau ses béquilles sous mes bras. Elles étaient à bonne hauteur et pour la première fois, je pus me tenir debout sans l'aide de personne. Il m'était toujours impossible de poser le pied gauche par terre. Mes fractures n'étaient pas suffisamment consolidées.

Grâce à ce soutien, je pus faire un pas, puis un autre et c'est avec joie que je franchis le seuil et me retrouvai à l'air libre.

Bran et Enora me guidèrent vers un banc placé contre le mur de la maison et je m'y laissai tomber épuisé et étourdi. Je dus fermer les yeux, le soleil m'aveuglait, mais je tendis mon visage à sa caresse. Dieu, que c'était bon ! J'étais recru de fatigue après cet effort mais surtout enivré de toutes les senteurs automnales qui m'assaillaient et que je respirais avec volupté.

Une douce brise faisait chanter les feuilles des arbres et les oiseaux s'égosillaient comme aux plus beaux jours du printemps. J'avais peine à croire que nous entrions dans l'arrière saison. Je cessais de penser pour me livrer tout entier à toutes ces sensations oubliées.

Au bout d'un moment j'ouvris les yeux. J'étais seul, mes compagnons m'avaient laissé à mes retrouvailles avec la nature, avec la vie. J'étais empli de félicité et le simple fait d'être là, de sentir battre mon coeur et circuler le sang dans mes veines, m'émerveillait et me remplissait d'un indicible bonheur.

Je savourais les choses et voulais les redécouvrir une par une. J'eus enfin la curiosité de faire connaissance avec mon nouvel environnement. En fait, c'était très loin de ce que j'imaginais. Il n'y avait pas à proprement parler de village avec ses rues bordées de maisons, mais plutôt une grande clairière cernée de tous côtés par la forêt où quelques demeures étaient disséminées. Celles-ci étaient faites de pierres grossièrement taillées avec des toits composés de grandes plaques d'ardoise ou recouverts de chaume.

Il y avait peu d'activité à cette heure et je fus surpris de constater que les quelques personnes que j'apercevais, portaient toutes la robe verte, bleue ou blanche. C'est à ce moment que je compris que j'étais dans une communauté druidique.

Décidément, les hasards de mon destin me réservaient de curieuses surprises. En pensant à cela, j'entendais la voix de Claudius :

- Joanès, le hasard n'existe pas !

* * *

Dès que le temps le permettait et il le permit souvent, je sortais et m'asseyais au soleil sur le banc de pierre. J'étais maintenant capable de me débrouiller tout seul et ne faisais appel à mes nouveaux amis qu'en cas d'absolue nécessité.

Mon état ne demandait plus beaucoup de soins et Enora était moins souvent présente à mes côtés. Elle me manquait, je dois l'avouer et j'épiais sa mince silhouette lorsqu'elle vaquait à ses activités.

Elle disparaissait dans la forêt d'où elle revenait des heures plus tard, les bras chargés de paniers d'osier tressé remplis de champignons, de plantes ou de baies sauvages.

Il venait souvent du monde au village. Hommes, femmes accompagnées d'enfants arrivaient par un sentier qui débouchait sur la clairière, à l'opposé de l'endroit où je me trouvais. Ils se dirigeaient presque tous vers une maison plus grande que les autres où Devrig les recevait en tant que chef ou prêtre, je n'en savais rien. Une plus petite demeure l'avoisinait et il y entrait aussi des gens qui semblaient malades ou blessés. J'en conclus que c'est là qu'Enora officiait en tant que guérisseuse car elle y passait de longues heures.

Bran venait souvent me rejoindre et s'il est vrai que c'était un joyeux compagnon qui savait me divertir, il était inutile que je lui pose des questions, il n'y répondait pas.

Devrig m'accordait tous les jours un moment de son temps mais jamais il ne parlait de ses activités. Je sentais que ce n'était pas par méfiance mais simplement parce que j'étais étranger à leur communauté. C'était un homme sage et il ne parlait jamais pour ne rien dire. Au cours d'une de nos conversations, je lui demandai :

- Comment se fait-il que vous parliez si bien le latin ?

- Nous faisons partie de l'Empire, Joanes et c'est la langue officielle.

- Tout le monde le parle ici ?

- Non, seulement ceux qui sont amenés à rencontrer les représentants de Rome, pour la juridiction, les affaires générales et le commerce.

- Il doit vous être dur de vivre sous le joug de la domination. Je comprends que vous combattiez ceux qui vous privent de votre liberté !

Il éclata de rire.

- Mais nous ne sommes asservis par personne ! La liberté est une chose que l'on porte en soi mon fils, elle n'a rien à voir avec la politique. D'ailleurs tu te trompes, nous ne vous combattons pas. Votre culture et la nôtre sont différentes, complémentaires et les partager ne peuvent que nous enrichir mutuellement.

- Mais alors pourquoi cette guerre ?

- Elle ne vient pas de nous. Vois-tu Joanes, notre foi, nos croyances et la manière dont nous vivons font de nous des hommes forts et cela ne plaît pas à ton Empereur. Il croit, à tort, sa suprématie menacée et veut que nous abdiquions en utilisant pour cela la violence. Nous acceptons pourtant volontiers d'être une province de l'Empire et tenons seulement à notre religion et à notre identité. C'est une lutte stupide et fratricide. Aussi pour éviter les effusions de sang comme celles que tu as connues, nous nous cachons et nous faisons oublier.

- Tu confirmes ce que je pensais. Avant la bataille, j'ai essayé de convaincre mes supérieurs de dialoguer mais ils se sont moqués de moi et m'ont méprisé.

- Ce genre de conflit n'est pas nouveau. Avant, on persécutait les chrétiens et maintenant que la nouvelle religion a supplanté les dieux de votre mythologie, c'est elle qui, après les armes, va nous combattre.

- Oh non ! Ce n'est pas possible ! Tous ceux qui suivent le Christ se refuseront à cela !

Le grand druide eut un sourire énigmatique et posa sa main sur la mienne.

- Il n'y a pas que des Joanes et des Devrig mon fils, mais, hélas, beaucoup de fanatiques aveugles de part et d'autre. Cependant tu as raison, il faut toujours espérer. Il arrivera bien un moment où la sagesse éclairera le monde.

A son air dubitatif et un peu triste, je compris que cette éventualité lui paraissait bien lointaine et qu'il pressentait des événements qu'il taisait.

Je me sentais bien auprès de lui et j'eus brusquement l'impression que je n'étais pas près de partir, que mon âme qui aspirait à la Connaissance allait s'épanouir en ce lieu. Avec le temps, je trouverais ma place au sein de cette communauté et qui sait, peut-être plus encore !

* * *

Je commençais à en avoir assez de jouer les vieillards, de mon grabat à la pierre où je lézardais. Les forces me revenaient et malgré la douleur qui sourdement persistait dans mon corps, mon sang bouillonnait et j'avais envie d'action. Il me semblait que maintenant ma jambe devait être assez forte pour me porter et je m'en ouvris à Enora.

- Je n'en peux plus de cet état ! Je veux marcher. Avec ton aide, je suis sûr que je peux le faire. Il faut que j'y arrive Enora !

- Eh bien, essayons ! Mais je t'en prie, sois prudent, il y a plus d'énergie dans ta tête que dans tes membres, ne l'oublie pas.

Afin d'adoucir le contact avec mes béquilles, elle en avait garni les fourches avec des fourrures. C'était presque confortable.

C'est avec un sentiment de victoire que je fis mes premiers pas dans la clairière. En son centre, il y avait un grand menhir et je le pris pour but. Lentement, prudemment, j'avançais et fouler l'herbe humide me procurait une joie sensuelle. Enfin j'arrivai au mégalithe et je souris triomphalement à la jeune fille qui ne m'avait pas quitté d'une semelle. Je m'adossai épuisé contre celui-ci et au bout d'un moment, j'eus l'impression qu'il me transmettait de l'énergie, une curieuse chaleur frémissante. Je me laissai aller à cette douce sensation, les paupières closes.

Quand je les ouvris, c'est avec des yeux neufs que je regardai tout autour de moi. La forêt était maintenant au summum de sa beauté. Les jaunes des érables et des bouleaux se mêlaient aux hautes frondaisons dorées des hêtres, au rouge d'autres essences, au vert foncé des conifères.

Les chênes, seuls arbres qui, ici et là, ombraient la clairière, ne semblaient pas vouloir quitter leur verdure estivale et il émanait d'eux une puissance telle que j'eus tout à coup le sentiment qu'ils étaient plus que des arbres. Je ressentis pour eux un vibrant élan d'amour comme si je découvrais des amis, des frères.

Ma tête se mit à  tourner un peu.

- Viens Joanes, cela suffit pour aujourd'hui. Je commence à lire la fatigue sur ton visage.

Elle avait raison et c'est las, mais très heureux, que je regagnai ce qui était devenu ma maison.

En plus des forces, l'appétit m'était revenu et c'est avec impatience que j'attendais chaque repas. Les mets y étaient simples mais délicieux, totalement différents de notre cuisine latine. Il y avait presque toujours une soupe épaisse, de la viande et quelquefois du poisson, le tout accompagné de galettes de céréale ou de pain.

En général, je buvais de l'eau mais quelquefois on me donnait une curieuse boisson fermentée, la cervoise, à la fois âcre et amère. Il me fallut un certain temps pour l'apprécier mais je finis par y trouver un certain plaisir.

Mes repas m'étaient apportés par une vieille femme au sourire édenté, Béga, qui avait dû être très belle. Elle ne me parlait jamais autrement que par gestes et Bran à qui je demandai si elle était muette, éclata de rire.

- Mais non, Romain ! C'est même une sacrée bavarde, seulement elle ne parle pas ta langue. Nous ne sommes que quatre ici à la connaître et c'est pourquoi tes contacts sont si limités.

Cela ne m'était pas venu à l'idée et je compris alors pourquoi personne ne venait vers moi. Lorsque de loin je saluais l'un ou l'autre, il me faisait un signe amical et s'éloignait. Je m'étais souvent posé la question et en avais hâtivement conclu que ma qualité de légionnaire romain en était la raison et que l'on me tolérait, sans plus.

Cela m'ouvrit les yeux et lors de la visite quotidienne de Devrig, je lui demandai :

- Pourrais-je apprendre le celte, Druide ? Vous avez fait suffisamment d'efforts pour communiquer avec moi en latin. Je pense qu'il est temps maintenant que je me rapproche de vous à mon tour.

- Excellente idée Joanes, cela meublera et ton esprit et les longues soirées d'hiver car il te faudra du temps pour pouvoir pratiquer notre langue. Tu n'y trouveras aucun point commun avec la tienne mais en découvrir toute la richesse t'aidera à nous comprendre et à mieux t'intégrer si tu le désires. L'ovate Urfol se fera un plaisir de devenir ton professeur. Il a un don pour enseigner et arrivera sûrement à te rendre la tâche facile et agréable.

- Je ne sais comment te remercier pour tout, Devrig. Je me sens tellement inutile. Je suis un fardeau pour vous. J'aimerais vraiment participer par mon travail à la vie communautaire. Dis-moi ce que je peux faire ?

- Mettre tout en oeuvre pour achever ta guérison et redevenir un homme solide, voilà quel doit être ton premier objectif. Ne t'inquiète pas, tout le reste suivra naturellement. La patience est une vertu Joanes et accepter humblement en est une autre. Vois-tu, une des grandes lois universelles est qu'il faut recevoir pour donner et donner pour recevoir. Médite cela et observe la nature, c'est elle qui nous en donne le meilleur exemple. Un petit enfant trouve tout naturel que sa mère lui donne tout ce qui est nécessaire à la vie. Sois un enfant pour le moment Joanes. Tu grandiras  très vite, plus vite que tu ne le crois, j'en suis persuadé !

* * *

Vint le moment où je pus quitter mes béquilles. A ma demande, Bran alla en forêt me tailler deux tiges bien droites de châtaignier. Je les coupai à bonne longueur, les débarrassai de leur écorce pour en adoucir le contact. Il s'avéra que la marche m'en était grandement facilitée et chaque jour, je m'exerçais à retrouver l'usage normal de mes jambes  et à en refaire les muscles. Ils avaient incroyablement fondu pendant ma longue inaction forcée.

Au début, je marchais de long en large sans trop m'éloigner mais bientôt je ne pus résister à l'appel de la forêt. Enora ou Bran m'accompagnèrent les premiers temps et en profitèrent pour me faire connaître quantité de choses.

J'appris bientôt à distinguer les champignons comestibles des vénéneux, à apprendre leurs noms, à découvrir leur habitat. Cela me passionnait et malgré la difficulté, j'étais tout fier de pouvoir modestement participer à la cueillette. Les baies abondaient également à cette saison : mûres, cynorhodons et autres ainsi que les noisettes, les châtaignes et les faines.

J'étais profondément heureux au milieu des arbres, des sous-bois et des taillis qui abritaient une faune à plumes et à poils aussi riche que variée. J'y passais autant de temps que ma jambe me le permettait.

Insensiblement le temps changeait. Les brumes matinales s'attardaient et j'attendais le moment où le soleil arriverait à les traverser de ses rayons, instant d'une indicible beauté. Tous les contours étaient estompés, adoucis et émergeaient lentement dans la lumière, qui, enfin triomphait.

Les ombres se faisaient plus longues et les jours raccourcissaient. La pluie tombait plus fréquemment et son chant monotone remplaçait les habituels bruits de la vie.

Comme convenu, Urfol venait tous les soirs m'enseigner sa langue. Nous nous asseyions près de la cheminée où le feu crépitait, source de lumière dansante et de chaleur.

Mon apprentissage était totalement oral et en élève attentif, je répétais inlassablement les mots que j'engrangeais jour après jour dans ma mémoire. Les sons étaient gutturaux et j'avais beaucoup de mal à les prononcer correctement. Mon maître était patient et j'étais tellement avide d'apprendre que lentement mais sûrement, je progressais. Il me fit d'abord étudier le nom des objets usuels, des gestes et actions indispensables à la vie.

J'étais, bien sûr, incapable de construire une phrase, mais chaque fois que c'était possible, j'incorporais à mon latin tout ce que je pouvais traduire en celte. Cela donnait un mélange extrêmement curieux qui faisait rire aux éclats mes amis.

Un jour où je me plaignais à Enora de ses moqueries constantes, elle me regarda, son petit visage extrêmement sérieux, presque triste et il me sembla que des larmes emplissaient ses yeux

- Oh ! Joanes, comment peux-tu penser cela ! Tu ne sais pas combien je suis heureuse de ce que tu fais. Chaque jour, tu te rapproches un peu plus de nous et cela me fait espérer que tu ne nous quitteras jamais.

Elle mordit sa lèvre et rougit de cet aveu. J'étais très ému et baissai les yeux pour masquer mon désarroi.

Son caractère impulsif la poussa à aller plus loin et d'une toute petite voix, elle demanda :

- Vas-tu rester Joanes ou nous quitteras-tu un jour pour retrouver les tiens ?

Tout ce que j'avais occulté soigneusement jusque-là, toutes les questions que je refusais de me poser jaillirent, brûlantes et douloureuses. Je n'osais la regarder, je ne savais quoi répondre, mais il fallait le faire. Je lui devais la vérité, je me la devais aussi.

- Enora, honnêtement je n'en sais rien. Pour être franc, je n'ai pas voulu y penser jusqu'à présent. J'ai l'impression d'être à ma place parmi vous. Je crois que si mon destin m'a amené jusqu'ici, ce n'est pas sans raison. Mais il y a mon devoir, mon honneur et celui de ma famille, la parole donnée. Il me semble que tout cela fait partie d'une autre vie et pourtant, je suis toujours le Centurion Joanes !

- Pour tout le monde, tu es mort, ils ne t'ont pas trouvé sur le champ de bataille. Si nous n'avions pas été là, tu serais dans l'autre monde ! N'est-ce pas un signe pour toi ?

- Si Enora, je le crois vraiment et si je reste ici, j'ai la conviction profonde que j'y trouverai ce que j'attends depuis toujours.

- Alors ?

- Alors, je ne sais pas ! En mon âme et conscience, j'ignore ce que je dois faire et cela me torture.

Elle posa une main sur mon bras et me força à la regarder.

- De toute façon, tu as le temps de décider. Tu n'as pas récupéré toutes tes forces et l'hiver arrive. Demande conseil à mon père, Joanes. C'est un homme droit et juste et tu peux lui faire confiance, il te guidera vers la bonne voie, quels que soient ses sentiments. N'y pense plus pour le moment et pardonne-moi de t'avoir posé cette question... mais !...

Elle n'acheva pas sa phrase mais dans son regard passa tout ce qu'elle ne disait pas.

Je ne pus résister et l'attirai contre moi. Je la serrai convulsivement contre ma poitrine mais je me détachai bien vite, je n'avais pas le droit de la troubler, pas plus que de prononcer les mots qui se pressaient sur mes lèvres. Je dus me faire violence pour la repousser doucement et l'amener jusqu'à la porte.

Je regardai sa fine silhouette s'éloigner et me contraignis à attendre avant de murmurer d'une voix vibrante.

- Je t'aime, Enora.

* * *

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :