Chapitre 15

 

Chapitre 15.

Un dernier signe de la main qui ressemblait à une bénédiction et tu disparus au détour du sentier. Je restai là un long moment encore, tout pénétré de ta présence qui ne me quitterait jamais plus.

Tu n'avais pas voulu garder ton cheval et je décidai de ne pas m'en séparer. Je monterais alternativement l'un et l'autre, ainsi je pourrais faire de plus longues étapes sans trop les fatiguer.

Une page importante de notre vie venait de se tourner mais je n'en concevais aucune tristesse. J'étais heureux, je me sentais léger, jeune et avide de vivre.

Je piquai un galop sur la voie romaine en direction de l'ouest, de mon amour, de mon avenir.

Le voyage était fort agréable, le temps au beau fixe et les heures de jour fort longues en cette saison. Bientôt, je rejoignis le grand fleuve. Il ne me restait plus qu'à le suivre jusqu'à son embouchure. J'avançais fort rapidement sans pour autant négliger de m'imprégner du charme des contrées traversées. Sur ses berges, il y avait de charmantes bourgades, des villages de pêcheurs où j'aimais m'arrêter pour me restaurer. Aux heures trop chaudes, je piquais une tête dans les eaux capricieuses, tantôt profondes et dormantes comme celle d'un lac, tantôt courantes tel un torrent de montagne.

Au fil des jours, il s'élargissait et s'assagissait. L'estuaire n'était plus loin maintenant et bientôt, je crus sentir dans le vent des effluves marins et cela me fit battre le coeur. Désormais, je reconnaissais la route. Je me souvins de l'angoisse qui m'étreignait la première fois que je l'avais empruntée. Comme tout me semblait loin !

J'approchai bientôt du village fortifié où tout était paisible, comme si le temps avait effacé toute trace de violence et je fus stupéfait de constater que dans mon âme aussi, les cicatrices s'estompaient. Si je n'avais rien oublié, je n'en souffrais plus, cela faisait partie du passé. J'avais fait la paix avec moi-même.

Curieusement, je ne m'étais même pas posé la question de savoir comment je ferais pour retrouver la communauté au coeur de cette immense forêt qui recouvrait l'Armorique. Je savais que mes Guides y pourvoiraient. Aussi, je n'éprouvai aucune surprise en voyant un homme se diriger vers moi, un grand sourire aux lèvres.

Je sautai à terre et me précipitai dans les bras de Bran.

- Bienvenue au pays, Joanes !

- Oh Bran ! Comme c'est bon de te revoir ! Comment allez-vous tous ?

Il rit.

- Enora va bien et nous aussi. Tout le monde t'attend et j'en connais une qui doit compter les heures !

- Elle n'est pas la seule ! Pouvons-nous partir tout de suite ?

- Bien sûr. Nous arriverons avant la nuit et nous avons intérêt à le faire sinon Béga se fâchera tout rouge. Elle a préparé un festin en ton honneur.

- Laisse-moi juste un instant Bran.

Je sortis de mes sacoches les vêtements qu'Enora m'avait confectionnés et me hâtai de changer de tenue. Bran riait de bon coeur en se moquant gentiment de moi.

- Inutile de te demander si tu es toujours amoureux ?

- Comme il n'est pas possible de l'être. Oh! Pardonne-moi mon ami, je sais que tu dois en souffrir mais c'est plus fort que moi, je ne peux pas cacher mes sentiments.

- N'aie aucun scrupule Joanes. J'ai toujours su qu'elle ne m'était pas destinée. Elle a été mon premier amour d'enfant, d'adolescent, mais tout cela est bien fini. Bien sûr, je lui garderai toujours une immense tendresse fraternelle mais j'ai trouvé maintenant celle qui partagera ma vie. Je l'ai rencontrée à la fête de Beltaine. Les Grands Esprits nous ont guidés l'un vers l'autre et Père et Mère Universels ont béni notre union. Nous sommes profondément heureux. Tu vois, tu n'as aucun souci à te faire pour moi.

Je l'embrassai avec chaleur en le congratulant. La dernière ombre au tableau s'effaçait, tout était bien.

Je sautai sur mon cheval en invitant mon compagnon à en faire autant.

- C'est celui de mon frère. Il est aussi doux que lui, ne crains rien. Nous irons ainsi plus vite, je ne voudrais pas faire attendre Béga !...

Nous cheminions l'un derrière l'autre sur l'étroit sentier quand tout à coup l'étrangeté de la situation m'apparut. Comment avaient-ils prévu mon retour avec une telle précision ? Cela défiait la logique la plus élémentaire. Je m'en ouvris à mon compagnon qui, cette fois encore, se mit à rire.

- C'est  Devrig qui nous a avertis.

- Oui, mais lui, comment l'a-t-il su, qui l'a prévenu ?

- Quand il doit savoir, il sait.

- Mais il ne se trompe jamais ?

- Lui si, c'est un homme comme nous, mais les Etres de Lumière eux, ne commettent jamais d'erreur. Aurais-tu déjà oublié ta propre expérience ? Il est grand temps que tu reviennes parmi nous, mon ami !

La Connaissance ! Ce sage qu'était notre Grand Druide l'avait et je pris conscience que mon séjour romain, aussi bref fut-il, m'avait éloigné de ce monde-ci pour lequel je savais être fait.

Oui, il était temps que je revienne.

* * *

Ces dernières heures du long voyage que je venais d'accomplir me parurent interminables. Elles furent pour le pauvre Bran une autre forme de supplice. Il n'avait pas l'habitude de monter et chevaucher à vive allure dans la forêt lui donna bien des sueurs froides. C'est la sylve qui mit un frein à notre rythme endiablé. Elle devenait de plus en plus dense et force nous fût de mettre pied à terre pour parcourir l'ultime partie du chemin.

Enfin, nous débouchâmes dans la clairière et j'eus à peine le temps de m'en rendre compte qu'Enora était déjà dans mes bras. Nous nous serrions convulsivement l'un contre l'autre, je couvrais de baisers son visage levé vers moi et buvais à longs traits, la lumière ardente de son regard.

J'étais fou de bonheur et je ne sais combien de temps dura notre étreinte mais lorsque enfin nous reprîmes pied dans la réalité, tout le monde nous entourait, attendant en riant notre retour sur terre.

Je me précipitai vers Devrig qui me tendait les bras et me serra paternellement sur son coeur.

- Bienvenue chez toi, mon fils.

Ces simples mots, mieux qu'un long discours, me firent prendre conscience que l'errance était terminée, j'étais arrivé au port, là où ma vie m'attendait et j'en étais profondément heureux.

Les retrouvailles furent joyeuses et chacun à sa manière me manifesta son affection, qui avec de grandes bourrades amicales, qui avec plus de retenue mais beaucoup de tendresse.

J'avais hâte de me retrouver seul avec Enora mais par courtoisie, je cachai mon impatience. Les congratulations n'en finissaient plus lorsque je réalisai tout à coup qu'ils prenaient un malin plaisir à nous taquiner. Tout cela finit dans les rires et je pus enfin prendre la jeune fille par la main et l'emmener à l'abri des regards indiscrets.

Les mots ne sortaient pas tant notre émoi était grand. Nous nous touchions, nous regardions, nous embrassions sans fin. Plus rien n'existait autour de nous.

L'intensité de ce moment dépassait tout ce que j'avais connu. J'aimais et j'étais aimé. Bien que je n'aie jamais douté de mes sentiments, j'acquis à cet instant la certitude qu'Enora était et serait le seul amour de ma vie, celle avec qui je partagerais tous les moments bons et mauvais de notre existence jusqu'à ce que la mort nous sépare. Cela n'avait rien à voir avec l'engouement passager que j'avais souvent ressenti dans ma prime jeunesse, ni la folle passion qui ravage tout et ne dure pas. C'était profond, solide, fait pour traverser le temps.

Le plus important était que cette union, nous le sentions, nous le savions, était bénie par Père et Mère Universels et cela ajoutait à notre bonheur. Quel merveilleux cadeau du ciel !

Enfin rassasiés, nous pûmes commencer à parler. Curieuse, Enora voulait tout savoir sur ce qui s'était passé au cours de ces longs mois, l'armée, la famille et surtout toi Petit Frère.

Je lui racontai l'essentiel, remettant à plus tard les détails dont elle était si friande et la laissai sur sa faim. Moi aussi je voulais entendre tout ce qui avait fait sa vie durant mon absence.

En fait, elle n'avait pas grand chose à me dire, elle m'avait attendu tout en se livrant à ses tâches habituelles. Aucun événement marquant n'était survenu, sauf la fête de Beltaine qui célébrait la saison chaude. Ils avaient rejoint pour cette occasion quelques autres communautés dans un lieu situé quelque part dans l'immense forêt armoricaine.

- Si tu savais, Joanes, combien j'ai pensé à toi et désiré ta présence ce jour-là ! J'aurais tant aimé qu'il voit la consécration de notre union comme le veut la Tradition.

- Je le regrette aussi, mon aimée, mais il m'était matériellement impossible de faire plus vite. J'aurai manqué à tous mes devoirs. Il fallait que tout s'accomplisse pour que je puisse te revenir libre et l'âme en paix. Maintenant c'est fait et si Dieu le veut, je ne te quitterai jamais plus.

J'eus brusquement une inquiétude.

- Ne me dis pas Enora que allons devoir attendre la prochaine Beltaine pour nous marier ?

Elle éclata de rire.

- Tu crois que je n'ai pas fait preuve d'assez de patience, Romain ? Pendant que tu voyageais agréablement et retrouvais ta famille, tes amis, moi j'étais là à me morfondre, ne l'oublie pas !

Elle souriait en proférant ces reproches voilés mais malgré tout, je sentis qu'elle avait souffert plus que moi de notre séparation et je m'en voulus de mon égoïsme. Comme si elle lisait dans mes pensées, elle prit mon visage dans ses douces mains et me força à la regarder.

- Dans trois jours, c'est la fête de Lugnasard et si tu acceptes d'attendre jusque là, en ce jour dédié aux moissons, nous récolterons nous aussi tout ce que nous avons semé. Tous nos efforts, notre souffrance, auront permis à notre amour de germer, de grandir, de s'épanouir et de mûrir. Je crois que nous sommes prêts mon aimé.

- Oh ! Enora, c'est merveilleux, je n'ose y croire, je, je...

Rieuse, elle me coupa.

- Ton éloquence m'étourdit Joanes ! Je crois qu'il est temps pour toi de te restaurer et de te reposer. Si tu le veux, nous allons maintenant rejoindre les autres . Ils t'attendent pour célébrer dignement ton retour.

Elle avait raison, j'étais las et affamé. Je pris quand-même le temps de me laver et de me rendre présentable avant de retrouver mes compagnons pour un délicieux festin généreusement arrosé. Sous la voûte étoilée, résonnèrent tard dans la nuit nos rires, nos chants et la musique, toute la joie d'âmes simples qui savaient jouir de la vie, ce don merveilleux du ciel.

J'étais heureux Petit Frère et tu étais là, dans mon coeur, associé à mon bonheur.

* * *

D'un commun accord, nous nous vîmes très peu, Enora et moi, durant les deux jours qui précédèrent Lugnasard. Nous consacrâmes notre temps à la méditation, à la purification et cela me rappela Samain. J'évitai également les autres, j'avais besoin de solitude, non pas pour réfléchir, tout était très clair dans mon esprit, mais simplement pour "être".

Malgré la chaleur intense, l'eau de la source était toujours glacée mais cela ne m'empêcha pas de procéder à de longues ablutions sous cette douche vivifiante. Jamais je n'avais autant ressenti le besoin d'être propre, de corps et d'esprit.

Je ne retrouvai pas mes amis pour la veillée et ce n'est qu'à la nuit tombée que je rejoignis ma couche, l'estomac vide et le coeur léger. Je m'endormis immédiatement et la nuit se peupla de rêves où tout était beauté, harmonie et douceur.

Je m'éveillai dès l'aube alors que tout le monde dormait encore où du moins je le croyais. je passai les vêtements de fête qu'Enora m'avait préparés. La journée s'annonçait magnifique et chaude, il n'y avait pas un nuage. Une brise légère véhiculait les derniers parfums de la nuit et je sortis pieds nus, foulant avec plaisir l'herbe irisée d'une légère rosée.

C'est alors que je vis Devrig assis au pied du menhir, plongé dans une profonde méditation. Je me sentis tout à coup puissamment attiré vers lui et le rejoignis. C'est sans surprise que je vis Enora se diriger également vers son père. Nous prîmes place à ses côtés. Dos à la pierre et les yeux clos, je laissai le vide se faire dans mon esprit.

Cela ne demanda qu'un instant et j'eus l'impression très nette que mon âme quittait mon corps. J'ouvris les yeux et vis les visages transfigurés de la jeune fille et du Grand Druide dans la lumière dorée qui nous entourait. Je percevais tout autour de nous la présence aimante des Grands Esprits et ce qui se passa alors est difficilement narrable, les mots humains manquent pour cela.

Aucun de nous n'ouvrit la bouche et c'est pourtant très distinctement que j'entendis nos voix s'unir et s'élever en vibrations intenses. Bientôt nous entrâmes en communication totale avec le Grand Tout et dans cette extase parfaite, je vis s'estomper le visage de Devrig alors que toute distance s'abolit entre Enora et moi. Nos corps subtils et nos âmes fusionnèrent, nous ne fîmes plus qu'un. Je ne sais combien de temps dura cet état de grâce mais jamais ce moment n'a pu s'effacer de notre esprit. Notre union était consommée, bénie par le Ciel qui l'avait désirée.

Lorsque nous reprîmes pied dans la réalité, nos regards étaient toujours soudés et nous gardions au fond des yeux un peu de cette lumière divine dans laquelle nous avions baigné. Nous sentîmes sur nos têtes la main du grand prêtre, ultime bénédiction et geste de tendresse paternel qui se termina en caresse puis, sans un mot, il s'éloigna.

Nous étions là, face à face, nous ne parlions, ne nous touchions pas et pourtant jamais nous n'avions été aussi proches.

Tout le monde était maintenant éveillé et les bruits familiers nous tirèrent de notre douce torpeur. Je tendis les mains à Enora et l'attirai contre moi.

- Nous voici mari et femme, ma douce.

- Oui mon amour, pour l'éternité.

Pour l'instant, notre vie actuelle me suffisait. Jamais je ne m'étais senti aussi profondément heureux, empli d'une telle foi, d'une telle certitude dans l'avenir.

- Comme tu es belle Enora ! Cette robe blanche te sied à merveille ma druidesse bien aimée !

- Tu n'es pas mal non plus, noble patricien !

Elle avait voulu que je revête pour la circonstance ma tunique romaine et le bandeau tressé de fils d'or qui ceignait mon front remis par notre Mère.

Comme à un signal donné, tous nos amis se précipitèrent et nous entourèrent de toutes parts. Une avalanche de fleurs s'abattit sur nous tandis que Bran accompagné de sa harpe, entonnait un chant d'allégresse bientôt repris par tous. Je n'en compris pas toutes les paroles mais il me sembla qu'il remerciait le ciel de nous avoir unis en même temps qu'il nous congratulait.

 Béga s'avança, tenant à bouts de bras une coupe emplie d'un breuvage doux-amer que nous dûmes boire tout à tour. C'est dans un brouhaha joyeux que chacun nous serra ensuite dans ses bras avec beaucoup d'affection.

* * *

La fête de Lugnasard commença. Des hommes, des femmes, des enfants arrivèrent bientôt, invités à célébrer avec nous ce jour qui marquait le summum de l'été. On remercia pour l'abondance des récoltes et pour tous les dons dont Mère Nature nous comblait.

Les offrandes s'accumulaient au pied du monolithe : gerbes de blé, paniers de fruits, volailles piaillardes, agnelets, poissons, toute la richesse de la terre et de la mer. Tous ces dons, du plus humble au plus riche étaient autant d'actions de grâce adressées au ciel et il y avait beaucoup de ferveur dans les yeux. Au terme de la cérémonie, Devrig s'adressa à tous ces gens et je remarquai le respect qu'on lui témoignait.

A la mi-journée, commença le banquet. Chacun ayant apporté sa contribution, les victuailles s'amoncelaient et étaient dévorées à belles dents. La cervoise coulait à flots et l'ambiance devint vite très chaude, d'autant que le soleil dardait ses rayons ardents. Le ton des voix montait et on entendait de grands rires bon enfant.

Je ne maîtrisais pas encore assez le celte pour me mêler aux conversations, aussi j'avais tout loisir pour observer. Je remarquai que quelles que soient la culture, la race, la langue, la liesse se manifestait de la même façon et cette joie simple et bruyante me rappelait les fêtes des vendanges de ma jeunesse.

Bientôt, tout le monde se mit à chanter et à danser et Enora m'entraîna dans une ronde endiablée à laquelle jeunes et vieux participaient.

La fête dura très tard dans la nuit mais nous n'attendîmes pas la fin pour fausser discrètement compagnie à nos amis. C'est dans l'humble demeure qui avait abrité ma convalescence que nous allâmes. Désormais, elle serait notre foyer.

La suite, Petit Frère, tu ne peux l'imaginer puisque tu as choisi le célibat. Tu n'as vécu que des amours sans amour et je savais qu'il te serait difficile de t'en passer, tu y avais pris goût.

Comme nos âmes et nos cœurs, nos corps vibrèrent à l'unisson dès le premier instant et je mis tout mon savoir à profit pour que la découverte des plaisirs des sens soient pour ma jeune femme non pas une épreuve, mais l'épanouissement de tout son être.

Sa fougue compensa largement son inexpérience et nous nous donnâmes totalement l'un à l'autre avec tendresse et passion. Jamais je n'avais connu une telle ivresse et notre chair exultait dans un bonheur total. Plus rien n'existait que l'instant présent et nous.

Il est dans chaque vie des heures inoubliables, souvenirs précieux où nous puisons dans l'adversité afin d'en adoucir la souffrance. Mais nous n'en étions pas là et il nous était impossible de concevoir une existence autre que celle qui était la nôtre au soir de notre union.

* * *

La vie reprit vite son cours habituel. Il nous fût très rapidement difficile de préserver nos moments de solitude à deux, Enora ayant presque tous les jours des malades à soigner. Mais nous avions nos soirées et nos longues nuits où nous retrouvions notre intimité et l'enchantement de nos étreintes amoureuses.

Il était temps pour moi de trouver ma place au sein de la communauté dont j'étais devenu membre à part entière. En premier lieu, je redevins l'élève d'Urfol, il me restait tant à apprendre. Je passais également beaucoup de temps avec Devrig qui maintenant acceptait de répondre aux questions que je me posais. C'est ainsi que tout doucement commença mon instruction.

Peu de temps après notre mariage, je lui demandai :

- Devrig, comment se fait-il que les druides se marient ? Les moines chrétiens eux, ne le font pas.

- Parce qu'ils ont choisi de vivre ainsi. Mais tous vos prêtres ne sont pas moines et nombreux sont ceux qui fondent une famille.

- Chez les chrétiens, il n'y a pas de femmes prêtres.

- Dieu est Père et Mère Universels à la fois. Pourquoi la relation avec lui serait réservée uniquement aux hommes ? Nous avons tous le pouvoir d'entrer en communication avec le Grand Tout et le devoir de transmettre cela aux autres humains, dans la mesure où ils sont prêts à le recevoir et à l'accepter, bien sûr.

- J'en reviens au mariage. D'après ce que j'ai constaté, vous vous unissez entre vous, initiés, alors pourquoi m'avoir choisi, moi qui suis d'une autre culture, d'une autre religion.

- La nôtre est en train de disparaître dans cette partie du monde, Joanes et avec elle, la Connaissance. Cette Lumière qui a traversé les âges va bientôt s'affaiblir à un point tel que l'humanité va entrer dans une période d'obscurité qui ira croissante. Le Christ est venu pour ranimer le Flamme mais déjà son message est trahi et cela va aller en empirant. Heureusement, il restera toujours sur terre des Gardiens de ce savoir. Cela va bien au delà des religions, des cultures et peu importe que tu sois un romain chrétien ou autre. Ton esprit est proche des nôtres Joanes et comme nous, tu es au delà des mythologies, de leurs rituels, de tous ces artifices créés par des humains pour pouvoir maintenir leur emprise sur d'autres humains. Nous sommes druides, c'est-à-dire prêtres, mais notre mission n'est plus de faire honorer, par des rites autrefois barbares, un panthéon de dieux nés de l'imagination des hommes et de leur besoin de concret. Quels que soient les noms des dieux ou déesses qu'adorent les humains, tous ne font qu'un.

Son regard se fit plus profond.

- Nous sommes chargés de préserver et de transmettre la Vérité afin qu'elle puisse traverser les siècles sans se perdre totalement, jusqu'au jour où l'humanité sortira de l'obscurantisme où elle se sera volontairement plongée. Tu as été choisi pour cela Joanes comme certains d'entre nous ici. Tel est le destin que tu as accepté.

- Ainsi donc, tu m'en crois vraiment capable ?

- Ce n'est pas moi qui en ai décidé ainsi mais les Etres de Lumière qui t'accompagnent et te guident depuis ta naissance. Ce sont eux qui te l'ont fait savoir, comme à moi et à Enora.

- Il me semble qu'ils m'ont souvent laissé tomber au cours de ma vie !

- Tu en es sûr ? Ou bien est-ce toi qui a refusé de les écouter ?

Moqueur, Devrig souriait.

- Tu as raison, j'ai souvent fait la sourde oreille pour mieux poursuivre mes chimères. J'ai vu où elles m'ont mené ! Je ne suis pas prêt de recommencer mes erreurs, tout cela est bien fini !

- Ne crois pas cela mon fils. Ce n'est pas aussi simple. Tu verras, plus ta foi grandira, plus grand sera le doute qui t'habitera quant à ton comportement et moins tu auras droit à l'erreur. Tu auras souvent l'impression de marcher sur le fil de ton glaive et seules les forces divines pourront te venir en aide. N'hésite jamais à demander leur secours.

Je me demandai bien quelles erreurs je pourrais commettre dans la vie paisible qui m'attendait, entouré de gens aimants aux cœurs purs, mais je n'en dis rien. J'avais la vague impression de manquer d'humilité. Le Grand Druide, lui, savait.

Plus le temps passait et mieux je m'intégrais à notre groupe. Je parlais maintenant le celte avec facilité et pouvais dialoguer avec tous ceux qui ne connaissaient pas le latin. Je m'acquittais chaque jour des humbles tâches qui m'étaient assignées et cela avec plaisir.

Au début, j'avais été vaguement déçu. J'espérais je ne sais quelle sorte d'initiation qui aurait fait de moi par magie un druide éclairé et reconnu. Il est difficile de vaincre la vanité ! Et puis, j'avais toujours cette fougue juvénile qui me poussait à brûler les étapes. J'aurais voulu briller devant Enora et susciter son admiration. Comme si la spiritualité était une compétition ! Dans ce cas, j'étais perdant, elle était tellement évoluée pour son jeune âge que je me sentais tout petit à côté d'elle.

Elle s'était gentiment moquée de mon attitude de jeune coq infatué et donné quelques sages conseils que j'avais mis en pratique, conscient de leur bien-fondé. Aidé par elle et son père, j'avais trouvé mon équilibre et compris qu'ils n'attendaient rien de moi. Je n'avais rien à leur prouver, pas plus qu'à moi-même. Je devais "être" simplement. J'appris donc à vivre d'une nouvelle manière.

"Communier avec le Grand Tout, c'est d'abord apprendre à connaître tout ce qui en fait partie, l'aimer, le respecter, à commencer par toi-même. Pour cela, il est nécessaire d'être très proche de la nature afin de vibrer au même rythme, jusqu'à ressentir les courants d'énergie qui parcourent sans cesse notre univers. L'âme doit être ouverte comme le sont les fleurs quand le soleil est au zénith et comme elles, dans un abandon de foi et d'amour, être prête à recevoir cette force cosmique dont peu à peu tu arriveras à interpréter les messages."

C'est en substance le premier conseil, la première leçon que me donna le Grand Druide.

C'est pourquoi j'éprouvais tant de bonheur à passer chaque jour de longues heures dans la forêt bruissant de vies innombrables. J'y cueillais des baies, des fruits ou encore je récoltais des champignons que Béga sécherait pour l'hiver

Par ces modestes travaux, je me sentais utile mais surtout, je me libérais lentement de l'ancien Joanes. J'avais l'impression d'être une fragile fleur cultivée retournant à son état primitif et sauvage, avec toute la vigueur et l'authenticité que cela impliquait. Je redevenais intérieurement un enfant, celui du Père et de la Mère Universels, insouciant comme le sont les tout-petits, qu'ils soient d'homme ou non, lorsqu'ils se sentent aimés et protégés.

Enora m'emmenait souvent avec elle pour faire moisson de plantes et de fleurs utilisées pour ses soins. Je me passionnai très vite pour la botanique. Chaque plante avait son histoire liée le plus souvent à son utilité ou au lieu où elle croissait.

Tout un rite présidait à la cueillette. On prélevait tantôt les feuilles, les inflorescences ou les racines, à des époques solaires ou lunaires bien précises, à des heures déterminées et je compris très vite le bien fondé de cette pratique. Tous les végétaux n'offraient pas le maximum de leurs principes actifs en permanence et c'était toute une science de savoir avec précision quand ils les libéraient, science dont l'origine remontait à la nuit des temps et qui avait un côté sacré.

Ma douce épouse était un merveilleux professeur. Outre le bonheur d'être ensemble, elle m'apportait en même temps que le savoir, le sens de la beauté de ce qui nous entourait. J'appris ainsi à témoigner ma reconnaissance aux entités tutélaires qui veillaient sur toute vie, pour tout ce qu'elles nous offraient.

J'étais ainsi de plus en plus  souvent et aisément en communion avec le monde invisible dont les interférences avec le nôtre étaient presque tangibles. Il m'arrivait fréquemment de parler à mes guides et de recevoir des réponses.

J'étais heureux, épanoui, mais tu avais ta place Petit Frère dans cette félicité. Je me demandais souvent si la voie que tu avais choisie t'apportait autant de sérénité que la mienne. Je le pensais car tu étais beaucoup plus cérébral que moi et cette faculté devait te servir dans ton œuvre d'évangélisation alors que, pour moi, ce n'était pas nécessaire et cela me convenait parfaitement.

* * *

Mon second hiver en Armorique fût totalement différent du premier. J'étais maintenant installé dans ma vie d'époux et de compagnon. Je ne me posais plus de questions quant à mon avenir. Un an plus tôt, j'attendais avec impatience mon départ pour Rome, maintenant je vivais au quotidien. Les mois sombres ne furent pas très froids et la neige tomba rarement, sans s'attarder.

A la fin de l'automne, je pus participer à la fête de Samain. Cette fois encore, nous laissâmes notre clairière pour rejoindre d'autres communautés dans un lieu situé à deux jours de marche et qui ressemblait en tous points à l'endroit où nous vivions. La fête était bien telle que je me l'imaginais, joie des retrouvailles avec d'autres druides, échange de nouvelles, longues conversations. Heureusement, le calme régnait et, apparemment, Rome nous avait oubliés. Il n'en restait pas moins que tous ces prêtres celtes continuaient à se terrer au coeur de l'immense forêt d'Armorique et que leur pouvoir temporel et religieux s'amenuisait. En fait, nous étions peu nombreux, une trentaine de personnes et dès le début, j'eus la nette impression que Devrig était le chef spirituel incontesté, le lien qui permettait à ces gens de poursuivre leur mission dans un monde qui ne voulait plus d'eux. Il ne s'agissait nullement d'un statut lié à une hiérarchie quelconque mais plutôt le fait qu'il était le seul Grand Initié et reconnu comme tel.

Cette fois encore, je fus gêné par cette langue que je maîtrisais pourtant assez bien mais qui dans la bouche de ces inconnus prenait d'autres consonances. Je fis néanmoins connaissance avec quelques bardes et ovates qui, avec beaucoup de gentillesse, firent des efforts pour se mettre à ma portée.

Je ne mis pas longtemps à comprendre qu'ils étaient un peu perdus, en tous cas bien loin de la Vérité, malgré leur bonne volonté. Il en était de même des druides et je réalisais l'importance de ces réunions qui ravivaient leur foi et leur espoir.

Le jour de Samain, je n'eus aucun mal à entrer en communication avec les Grands Esprits, à retrouver cette indescriptible luminescence. Elle était emplie de voix qui parlaient directement à la partie divine de mon être, à mon coeur. J'avais l'impression que Joanès n'était plus mais que j'étais le Tout. J'en tirai un enseignement qui était pour moi un début d'initiation en même temps qu'une joie et une sérénité profonde .

Je ne sais trop expliquer ce que je ressentais. Comment dire que plus rien n'avait d'importance mais que tout devenait essentiel, à un autre niveau.

Je m'étais souvent posé la question de savoir pourquoi les Celtes n'avaient pas de temples pour adorer leurs Dieux comme les Grecs ou les Romains. Même les chrétiens bâtissaient un peu partout des sanctuaires où ils célébraient leurs offices. Je comprenais maintenant la réponse d'Enora :

- La nature ne nous offre-t-elle pas le plus magnifique des temples ? Où pourrions nous être plus près de nos Créateurs que sous la voûte céleste en contact direct avec toutes les Forces Divines ?

Après cette journée, je saisis pourquoi Devrig m'avait reconnu comme l'un des leurs malgré la différence apparente. En effet, seuls lui, Enora et moi avions atteint ce niveau de conscience qui nous unissait à quelques poignées d'hommes et de femmes de par le monde. Oui, notre mission était claire, nous étions appelés à sauvegarder la Connaissance et à la transmettre afin qu'au fil des siècles elle ne sombre pas et puisse se révéler au grand jour quand le temps en serait venu.

J'avais moi-même beaucoup de chemin à parcourir pour faire partie de ces élus et j'éprouvais à la fois de l'allégresse et une sourde terreur car la tâche était lourde pour un simple mortel comme moi. J'en étais là de ma méditation quand je sentis la douce main de ma femme se glisser dans la mienne.

- Ne crains rien Amour. Imagine que tu es un petit enfant qui vient de faire ses premiers pas. Tu ne risques rien car tu es protégé par tes parents. C'est plus tard que viendra le danger, quand tu seras sûr de toi, certain de marcher comme il faut, où il faut. C'est là que surviendront les chutes car il y en aura, n'oublie jamais que nous ne sommes que des humains. Ce seront des rappels à l'ordre, des signaux d'alarme qu'il ne faudra surtout pas négliger.

- Heureusement tu seras là, ma Douce et Devrig aussi. Je me sens tellement ignorant et désarmé par rapport à vous, vous êtes si grands à côté de moi !

Elle m'attira contre elle et me caressa la tête en jouant avec mes cheveux bouclés.

- Tu penses faux Joanes. Il n'y a ni grand ni petit et la mission de chacun est à sa mesure. Il ne nous est rien demandé que nous ne soyons capables de faire, la seule difficulté est de prendre garde de ne pas s'éloigner de son chemin. Nous avons chacun le nôtre. Pour le moment Père et moi sommes à tes côtés mais tu ne dois compter que sur toi. Malgré les apparences, c'est humainement seuls que nous accomplissons notre parcours. Cependant, nous sommes loin de l'être, tu en as encore reçu la preuve aujourd'hui. Tu ne trouves pas que c'est un immense réconfort, une joie ineffable d'avoir la grâce de vivre cela ?

- Tu as raison Enora, c'est merveilleux.

Je ne pus m'empêcher d'ajouter.

- Mais il n'en reste pas moins que je me sens terriblement homme et que j'ai besoin de toi, de ton amour, de tes bras et de ton corps, de ta présence.

- Moi aussi mon aimé. N'oublie pas que notre union a été voulue et bénie par le Ciel. Elle a une raison d'être qui nous dépasse mais qu'importe puisqu'elle nous comble de bonheur !

- C'est vrai, je suis profondément heureux avec toi, ma Douce. Cela durera toujours, n'est ce pas ?

- Toujours, que veut dire ce mot Joanes, l'espace d'une vie ou l'éternité ? Et quelle sera la durée de notre vie ? Tu penses trop Romain. Le Grand Tout, c'est aussi le temps, l'instant présent, et, seule, a de l'importance la manière dont nous l'utilisons. Bannis de ton esprit la peur, le doute et toutes ces questions qui resteront sans réponse car elles ne servent à rien.

Elle m'embrassa tendrement.

- Et maintenant viens, allons rejoindre les autres, nous allons tous prier ensemble. Tu vas découvrir la puissance de l'union des pensées dirigées vers le même but et tu comprendras combien cela aide nos frères et nous aussi d'ailleurs.

J'appris beaucoup de choses ce jour là. Lorsque nous rejoignîmes nos couches à la mi-nuit, heure où les deux mondes se séparaient en cette fin de Samain, je retrouvai la douceur des bras de ma femme. Nos corps et nos cœurs s'unirent dans un grand élan d'amour, très physique celui-là.

Le lendemain fût consacré à la fête. J'aimais cette ambiance saine et chaleureuse, cette joie simple, presque enfantine où se mêlaient tous les plaisirs qui s'offraient à nous. Il me semblait que cette liesse était à sa manière une action de grâce pour tout ce que nous avions reçu la veille. Je me sentais léger, ludique, sans souci aucun. Nous étions tous dans le même état d'esprit et la journée passa très vite.

Sur le chemin du retour, je pensais à toi Petit Frère et aux moines avec qui tu vivais. Pourquoi tant de gravité, de sérieux et de rigueur dans la vie d'ascète que vous meniez ? Tout comme moi tu aimais la vie, les femmes, la bonne chair et je suis sûr qu'il t'arrivait d'y succomber pour être ensuite bourrelé de remords. Au nom de quel dieu tout cela ? Je pensais souvent à Jésus et à son message. Nulle part il n'était question de cette austérité, de ces règles que vous aviez établies et qui étaient tellement contre nature. Où cela allait-il vous mener ? Je m'en ouvris à Devrig qui me répondit :

- A chacun sa vérité mon fils, nous n'avons pas à juger. Peut-être que ces hommes ont besoin d'une zone d'ombre pour mieux voir la lumière ? Tout a sa raison d'être, même l'erreur. Il en sera ainsi tant que l'évolution de notre monde n'aura pas été totalement réalisée et il coulera bien des flots de sang avant que cela ne soit.

Il semblait toujours voir très loin, là où je n'étais pas en mesure de le suivre, mais ce qui m'importait surtout en ce moment, c'était toi. Il dut le sentir comme toujours.

- Vos destins à tous deux ont quelque chose en commun. N'as-tu jamais pensé que votre gémellité n'était pas le fruit du hasard et que, bien que par des voies différentes, vous poursuiviez le même but ? Vous êtes complémentaires, Joanès et vos missions aussi. Quoi qu'il arrive ne juge pas ton frère, c'est finalement l'un par l'autre que vous grandirez.

- Que veux-tu dire Devrig ?

- Connaître l'avenir ne te serait d'aucune utilité car en ce qui vous concerne tout est maintenant écrit et personne ne pourra rien y changer.

- J'ai souvent pressenti qu'un jour il se passerait quelque chose de terrible, mais je ne lui en ai jamais parlé. Apparemment, il n'a pas eu ces prémonitions.

- C'est aussi bien pour lui, mon fils. Avant votre réincarnation c'est ensemble que vous avez décidé de ce que serait cette vie et il n'a pas choisi la part la plus facile. Vos Conseillers vous ont aidés mais c'est en toute conscience que vous avez décidé d'assumer votre fraternité et tout ce qui en découlerait. Vous avez de la chance, bien que ne vivant pas ensemble, de pouvoir communiquer et l'amour que vous vous portez est et sera toujours un grand secours, même si les apparences sont contraires. Alors, vis en paix mon fils, c'est le présent seul qui doit compter, il en est de même pour chaque humain.

 Sa main se posa sur ma nuque et je sentis revenir la quiétude et la joie.

* * *

Avec le printemps, nous avions retrouvé nos activités au sein de la nature et je pus mettre en pratique tout ce qu'Enora m'avait enseigné durant les mois sombres. Je l'avais également assistée dans les soins qu'elle prodiguait mais s'il m'était maintenant possible de préparer une potion, un onguent, en aucun cas je n'étais capable de soigner les malades. A la rigueur, je pouvais l'aider à remettre un membre cassé ou démis mais j'étais totalement désarmé devant les plaies et les maladies.

J'en éprouvais du regret et une certaine déception. En effet, cela me privait du bonheur d'être avec elle toute la journée et je dois l'avouer aussi, mon orgueil de mâle me faisait souffrir par mon incompétence. J'étais bien loin d'avoir acquis la sagesse et l'humilité !...

Elle se servait le plus souvent des Grandes Energies qui au travers d'elle, rétablissaient beaucoup mieux que tout l'harmonie dans les corps et les âmes. Elle voyait au delà des enveloppes de chair les couleurs et les formes des corps subtils que nous possédons tous. Je n'avais pas ce don mais je m'aperçus vite que j'avais d'autres facultés.

Tous ces gens qui venaient se faire soigner par elle avaient mal et étaient paralysés par cette angoisse que même les animaux ressentent lorsqu'ils ne vont pas bien. Les enfants comme les adultes attendaient en silence et je pouvais lire dans leurs pupilles dilatées la peur qui les étreignait avec une telle intensité qu'ils en restaient muets.

J'essayais de les aider par tous les moyens et très vite, je sentis que les mots n'étaient pas essentiels. Le contact de mes mains sur leur tête et les regards échangés semblaient les apaiser, les réconforter, leur donner confiance. Je m'en ouvris à Enora qui m'encouragea dans cette voie et très vite, les enfants prirent l'habitude de me rejoindre au pied du menhir an attendant qu'elle s'occupe d'eux. Souvent, même les parents me mettaient leur bébé dans les bras et ce geste de foi me touchait énormément.

Un sentiment nouveau, inconnu jusque là jaillit en moi, l'amour pour ces petits d'homme dans leur émouvante fragilité et pour tout l'espoir de vie qu'ils représentaient. Je m'émerveillais devant la beauté de cet éternel recommencement et je priais pour que la force divine contenue dans ces petits cœurs les protège.

Mes journées étaient totalement remplies et de toutes ces petites tâches que j'accomplissais, je ne saurais dire celle que je préférais. Je me donnais entièrement à chacune, aussi humble soit-elle et en retirais beaucoup de joie et de paix.

Pourtant, furtivement, il m'arrivait de ressentir une impression de manque mais cela passait vite et je ne m'y attardais pas. Au fil des jours cependant, ce trouble se faisait plus fréquent, plus insistant et vint le moment où je dus me poser des questions.

Etait-ce la distance et le temps qui nous séparaient Petit Frère qui était à l'origine de ce léger malaise ? Non. Je vivais trop proche de toi et je savais qu'il en était de même pour toi. Après une honnête et laborieuse introspection, je trouvai la réponse, non sans surprise et me dépêchai de m'en ouvrir à ma femme.

- Enora, pourquoi n'avons nous pas encore conçu d'enfant ? Tant de lunes ont passé depuis notre union et nous nous sommes tant aimés que ma semence aurait dû porter ses fruits ! Dis moi pourquoi, ma Douce.

Nous étions allongés sur notre couche et les flammes qui s'élevaient dans l'âtre éclairaient d'une douce lumière son visage. Elle se mit à caresser mes cheveux, geste qui lui était familier lorsque notre conversation revêtait une certaine gravité.

- C'est la première fois que tu me parles de cela mon Aimé. Tu as donc envie d'être père ?

- A force de m'occuper de ces enfants, j'ai commencé à ressentir le besoin intense d'en avoir un à nous, un petit être né de nos deux sangs, de nos deux âmes. Oh ! Oui ma Douce, je le désire vraiment. Mais toi, n'as-tu jamais éprouvé ce sentiment ?

- Je suis femme, tu sais. Quelle femme ne souhaiterait pas avoir des enfants avec l'homme qu'elle aime !

- Alors, je te répète ma question. Pourquoi notre union est-elle stérile ?

Elle éclata de rire.

- Quel grand mot Joanes ! Ne crains rien, nous aurons un enfant...quand le temps en sera venu.

- Il me tarde qu'il vienne mon Aimée. Et qui décidera de cela ?

- Ni toi ni moi mon Amour. C'est le Ciel qui jugera le moment propice pour concevoir. Lorsque la petite âme qui nous a déjà choisis pour parents s'incarnera, ce sera sous les meilleurs auspices car nul doute qu'elle ne doive nous succéder dans notre mission. Vois-tu, à moi aussi il me tarde d'être mère, mais ne soyons pas impatients, tu verras, tout s'accomplira et notre vœu le plus cher se réalisera. Et maintenant, il est temps de dormir Joanes, nous devons être en forme demain. Les journées sont si courtes et il y tant à faire !

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