Chapitre 16

Chapitre 16

Le printemps était désormais bien installé et chaque jour le soleil montait plus haut dans le ciel. Bientôt aurait lieu la fête de Beltaine et je ne sais pourquoi j'avais hâte d'y arriver comme si cette date allait m'apporter quelque chose d'exceptionnel.

Un soir, Devrig nous rassembla pour nous parler.

- Dans quelques jours nous entrerons dans la saison chaude et pour la célébrer selon notre rituel, nous devons nous rendre dans la Montagne d'Armorique, lieu le plus sacré de notre région. Les Grands Esprits en ont décidé ainsi et je pense que nous aurons là un grand rassemblement car cette année notre cérémonie aura une importance très particulière. Nous allons donc nous y préparer dès à présent, le voyage sera plus long que d'habitude.

La joie se manifesta sur tous les visages et je réalisai alors que je n'avais aucune idée de ce qui devait se passer à cette occasion. Le Grand Druide à qui j'en fis part, m'expliqua succinctement.

- Si Samain est la rencontre avec les morts au début de la grande nuit, Beltaine tout au contraire est l'expression de la vie, la nôtre et celle du Grand Tout. C'est l'union du soleil et de la terre, du Père et de la Mère, la rencontre avec l'Amour Total. A cette occasion, souvent l'un d'entre nous rencontre l'âme sœur, guidé vers elle dans la nuit qui suit par les Entités Tutélaires et l'union des corps revêt alors un caractère sacré. Pour le reste, tu le découvriras toi-même.

- Mais pourquoi cette montagne ? Qu'a-t-elle de si particulier ?

- Nulle part ailleurs dans notre région, les Grandes Energies ne se rejoignent avec  autant d'intensité que là. Il est rare que nous y soyons appelés. Ne me demande pas pourquoi Joanes, je l'ignore, je sais seulement que cela doit être.

* * *

Le voyage avait été très agréable. Il faisait un temps idéal, doux et ensoleillé et la joie régnait dans notre groupe. Je crois que nous étions tout heureux de quitter pour un temps la routine de notre vie au quotidien. Le changement nous faisait du bien et nous étions pleins d'excitation, à des degrés différents, pour ce qui nous attendait. Pour ma part, la découverte de nouveaux horizons satisfaisait mon goût de l'aventure.

Au lieu de remonter vers le nord, nous descendîmes vers la côte ce qui allongeait considérablement la distance à parcourir. Mais la forêt était tellement dense à l'intérieur que la traverser nous aurait pris plus de temps.

La paix semblant bien installée dans cette contrée, nous pouvions sans grand risque nous montrer et ce fût un vrai plaisir de longer la côte, de traverser les villages de pêcheurs, rustiques et très vivants. Beaucoup de terres étaient cultivées et la glèbe très riche semblait propice à toutes sortes de plantations.

La civilisation romaine ne se faisait pas sentir ici. La vie semblait très rude, le confort inconnu, quant au raffinement, n'en parlons pas. Ces hommes frustres faisaient montre d'un grand courage car la mer très souvent houleuse ne se laissait pas facilement dominer. Pourtant, c'est d'elle qu'ils retiraient l'essentiel de leurs moyens d'existence.

Les paysans étaient de la même trempe. Ils vivaient au milieu des animaux et l'hygiène ne semblait pas faire partie de leurs mœurs. Apparemment la beauté telle que je la concevais, les laissait insensibles et nulle plante, nulle fleur ne venaient agrémenter leurs demeures. Les porcs s'en donnaient à coeur joie dans toute cette fange et je dois avouer que cela leur réussissait, ils étaient gros et gras à souhait.

Je n'eus pas le loisir d'étudier les caractéristiques de cette peuplade, nous ne faisions que passer, mais le peu de contact que nous eûmes avec ces gens me fit mesurer la distance qu'il y avait entre le tempérament latin et le leur.

Bientôt, nous quittâmes la côte rocheuse pour pénétrer à l'intérieur des terres et le relief se fit plus accidenté. Au bout de quelques jours de marche, quelle ne fût pas ma surprise de constater que le paysage changeait complètement. Nous fîmes halte à un endroit d'où je découvris avec étonnement le panorama. On voyait au loin la mer tant de face que sur nos flancs et je compris alors que l'Armorique était vraiment une péninsule, une terre du bout du monde.

Plus nous avancions et plus j'avais l'impression d'être en montagne. Des arêtes vives de granit affleuraient et me faisaient penser à des pics alpins en miniature. La flore elle-même ressemblait à celle des hauteurs.

Nous n'avions pas encore atteint notre but et c'est un soir à la nuit tombante que nous arrivâmes au terme de notre voyage. Je n'eus alors qu'une vision fugitive des lieux. Nous étions au bord d'un lac noyé dans la brume. Devrig et Enora me firent signe de les suivre jusqu'à la berge. Nous restâmes là un bon moment, immobiles, silencieux. Je me demandais bien ce que nous attendions lorsque tout à coup une barque apparut sans faire le moindre bruit, ni grincement de rames ni clapotis. Devrig embarqua, Enora et moi montâmes à sa suite.

J'aperçus une silhouette debout à l'avant et constatai aussitôt avec stupéfaction que notre embarcation glissait sur l'eau et que déjà la terre et nos compagnons avaient disparu dans les ténèbres.

La main de ma femme se glissa dans la mienne au moment où j'ouvrais la bouche pour la questionner et les mots se bloquèrent dans ma gorge. Par son seul contact, mes nerfs se détendirent et je me laissai aller avec confiance à l'étrange bien-être qui m'envahissait. J'étais là où je devais être et cela seul comptait.

* * *

Il va m'être difficile de narrer avec fidélité les événements qui ont suivi Petit Frère, car ils font partie de mon initiation et un voile est en partie tombé sur ma mémoire. Je pense que cela est voulu, aussi, je m'en tiendrai uniquement à ce que l'Inspiration me dictera.

Je ne saurais dire combien de temps nous sommes restés sur l'Ile, cette notion n'ayant pas cours dans ce monde que j'oserai qualifier de parallèle. Je me souviens qu'il faisait nuit lorsque nous avons quitté nos compagnons. Malgré le peu de temps que dura la traversée, quelques minutes à peine me semble-t-il, le soleil était à son zénith lorsque nous abordâmes.

Je fus émerveillé par ce que je vis alors. L'Ile était couverte de pommiers en pleine floraison. Elle était verdoyante et une multitude de fleurs de toutes sortes et de toutes couleurs émaillaient l'herbe tendre. Le parfum qui en émanait avait une suavité enivrante. Jamais je n'avais vu d'endroit aussi beau. Le chant des oiseaux, le bruissement des abeilles composaient une musique tellement harmonieuse que des larmes de bonheur me montèrent aux yeux.

Je cherchai des yeux Enora pour partager avec elle l'intensité de cet instant mais je m'aperçus que j'étais seul. Je n'en ressentis aucune surprise. Des êtres évanescents se trouvèrent soudain devant moi, leurs visages irradiés de joie. Ils ou plutôt elles, étaient vêtues de robes d'un vert tellement pâle et tendre qu'elles se fondaient dans la nature. Je sentis qu'on me prenait les mains et m'entraînait plus avant et je sortis de ma contemplation qui me semblait avoir duré des heures.

Je me retrouvai bientôt devant une petite maison basse, blanche, vers laquelle je me dirigeai sans hésiter. La porte ouverte m'invitait et je pénétrai dans une pièce sombre où je distinguai bientôt le Grand Druide et sa fille et entre eux, une femme sans âge, tout de noir vêtue. Elle leva les bras et tendit ses mains, paumes dirigées vers ma tête.

- Bienvenue à toi. Tu fais partie des nôtres et désormais on te nommera Yan. L'heure de ton initiation est arrivée mais avant, il faut te purifier et te débarrasser du vieil homme. Je te préviens, cela n'a rien d'agréable mais est nécessaire. Ma fille, guide le là-bas.

Je me sentais comme envoûté et c'est sans un mot que je suivis mon épouse. Nous arrivâmes bientôt au pied d'une cascade où un grand trou d'eau glauque bordé de plantes aquatiques semblait m'attendre et m'attirait irrésistiblement. Je lançai un regard interrogatif vers Enora qui opina du chef en souriant.

Elle s'éloigna et sans hésiter, je me plongeai lentement dans l'eau glacée. Je me laissai couler les yeux grands ouverts avec l'étrange sensation de retrouver mon élément naturel. Je n'éprouvais pas le besoin de respirer, je me sentais merveilleusement bien, calme et en attente.

Tout à coup, des remous agitèrent l'eau et se mirent à former des images qui défilèrent devant mes yeux. Je réalisai que c'était ma vie qui se déroulait au fil de l'onde, non telle qu'elle demeurait dans mon souvenir, mais dans une réalité que j'ignorais en grande partie.

Malgré le froid, je transpirais. La fièvre consumait mon âme, je souffrais, je tremblais. La peur, le remords, le regret m'envahirent. Je fermai les yeux mais cela ne changeait rien, il me fallut supporter cette épreuve jusqu'au bout. Combien de temps dura-t-elle ? Je l'ignore mais cela me parut une éternité.

Enfin tout s'apaisa et une sérénité et un état de pureté inconnus prirent la place de l'horrible transe. Je me sentis remonter à la surface de l'eau, poussé par une force à laquelle je ne résistai pas.

Je m'affalai sur l'herbe tendre de la rive et offris mon corps gelé au soleil. Je ne pensais pas, n'étais plus Joanes mais un être nouveau, un moi divinement comblé qui reposait en paix.

Je ne fus guère surpris en ouvrant les yeux de rencontrer le regard d'Enora. Elle me tendit la main et je repris pied dans la réalité. Nous cheminâmes silencieusement. Je n'éprouvai aucun désir de lui parler de mon expérience, elle savait, je le sentais.

Quelle ne fût pas mon étonnement de constater que des petites maisons étaient disséminées çà et là, je n'avais rien vu ! Ma femme me fit pénétrer dans l'une d'elles et me dit :

- Yan, il te faut dormir maintenant, tu as dépensé une grosse somme d'énergie.

- Et toi ma Douce ?

- Je vais rejoindre mon père et les prêtresses, nous devons prier.

Je ne l'entendis même pas sortir et plongeai dans un sommeil sans rêve.

* * *

Le soleil était toujours à la même place dans le ciel qu'à notre arrivée. Je me dirigeai vers le trio qui semblait m'attendre. La Grande Prêtresse me sourit.

- Yan, regarde la montagne et dis nous ce que tu vois.

Je levai les yeux vers la colline arrondie qui nous faisait face au loin. Un cercle de menhirs occupait son faîte dénudé. Docilement, je décrivis ce que je voyais.

- Tu vas aller là-haut.

- Que devrai-je faire ?

- Tu le sauras, ne crains rien.

Je ne me souviens plus comment je suis allé de l'Ile au sommet mais je me revois au milieu des mégalithes, allant m'asseoir sans hésiter sur une roche plate, le visage offert au soleil.

Peu à peu, l'Energie m'envahit. Je la sentais pénétrer à la fois par le sommet de ma tête et par tout le bas de mon corps. La fusion se fit dans mon coeur. Il m'est impossible de décrire l'état de lumière, de vibration dans lequel je baignais, tout cela est bien au delà des mots, aussi riche que soit notre vocabulaire. Seuls ceux qui ont connu cette expérience comprendront peut-être, encore que l'intensité de ce genre de souvenirs s'émousse très vite.

Cette fois encore, je restai silencieux en redescendant. Nous fîmes nos adieux à la Prêtresse et c'est alors que je constatai combien elle semblait vieille. Elle me serra sur son coeur puis m'obligea d'une poigne douce mais ferme à regarder de nouveau le sommet de la colline.

- Fixe cette vision dans ta mémoire Yan. Il se passera beaucoup d'années avant que tu ne reviennes ici et notre monde qui est en train de disparaître sera alors à l'agonie. Il y aura d'abord interférence et peu à peu nous serons submergés comme le sable à la marée montante. Il nous faudra alors céder la place... quand on ne nous la prendra pas de force, dans la violence ! Mais rien de tout ce qui a été ne sera vain car malgré les apparences, notre mission sera remplie et c'est ce qui importe. Souviens toi de cela, mon petit.

La barque nous attendait et s'enfonça bientôt dans la brume. Lorsque nous arrivâmes au camp, il faisait nuit et nos compagnons dormaient !...

* * *

Lorsque je m'éveillai, je constatai que de nombreuses compagnies nous avaient rejoints. Je me demandai si j'avais rêvé tout ce qui s'était passé mais immédiatement, je sentis en moi la certitude de la réalité des faits.

Enora s'affairait déjà sans bruit. Elle s'approcha avec une robe blanche.

- Cette fois Yan, tu as vraiment le droit de la porter. Revêts là, veux-tu ?

En l'enfilant, de nombreux souvenirs surgirent dans ma mémoire. Il était si proche et si lointain le temps où le Centurion Joanes avait pour la première fois endossé cette tenue. Que de chemin parcouru depuis ! Bien sûr l'enfant, l'adolescent, le jeune homme que j'avais été vivaient toujours en moi mais ils n'avaient plus le pouvoir d'influencer ma vie d'homme. Je les aimais et les acceptais avec toutes leurs erreurs, leurs faiblesses car sans eux, je ne serais pas ici.

Ma femme me fit signe de la suivre et bientôt je me trouvai entouré de druides, de bardes, d'ovates. Ils venaient de tous les coins d'Armorique et même de beaucoup plus loin car certains avaient fui leurs îles situées au ponant pour se réfugier dans nos forêts, derniers bastions de cette religion celtique.

Nous étions une centaine environ, tous de bleu, de blanc ou de vert vêtus. S'il m'était difficile de comprendre la langue teintée d'accents différents et de mots inconnus, je reconnaissais la joie qui éclairait les visages, elle était la même chez tous.

Après un frugal repas, nous partîmes en procession vers la montagne sacrée.

Seul Devrig pénétra le cercle de menhirs autour duquel chacun prit place. Il demeura immobile assez longtemps, paraissant attendre quelque chose. A un certain moment, le Grand Prêtre leva les bras vers le ciel et demeura ainsi un long moment. Nul bruit hormis le vent que rien ne freinait dans sa course et qui pourtant chantait doucement. Tous les yeux étaient fixés sur le druide. Etait-ce une illusion d'optique ? Il me sembla qu'il devenait lumineux, de cet éclat aveuglant des éclairs et qu'il concentrait sur lui toutes les Grandes Energies.

J'avais ressenti cela quelques heures auparavant et je me sentais encore empli de ces vibrations intenses.

Lorsque le soleil eut bougé dans le ciel, il tendit doucement ses mains vers nous en tournant lentement sur lui-même et je compris qu'à travers lui, chacun recevait la Divine Force.

Un léger frémissement parcourut l'assemblée, les têtes se courbèrent, les yeux se fermèrent pour une concentration et une méditation qui devaient durer des heures. Je fis de même et perdis totalement la notion du temps.

Le soleil était déjà bas sur l'horizon et au loin la mer brillait comme du métal en fusion lorsque chacun reprit conscience. Nous quittâmes la colline en silence, respectueusement. Je lisais dans les yeux de chacun une infinie reconnaissance et un grand enthousiasme, ce qui est une des plus hautes formes de l'amour.

Une fois arrivés au pied du mont, la vie reprit et chacun se mit en devoir d'aider à préparer le grand banquet, moment de liesse dans l'attente de la nuit.

Celle-ci tomba alors que nous festoyions joyeusement et l'heure vint d'allumer les feux. La montagne sacrée fût bientôt embrasée et elle m'apparut alors beaucoup plus haute et imposante. De-ci delà, j'apercevais des silhouettes, seules ou le plus souvent par couple.

Mû par une pulsion incontrôlable, je me mis à gravir la pente, de plus en plus vite, jusqu'au sommet. Sur la pierre plate, j'entrevis une ombre que je rejoignis. Je sentais, je savais que c'était elle, mon guide, ma prêtresse, ma femme.

Notre étreinte dépassa tout ce que nous avions connu jusque là, violence du désir, don total de nos corps alors que nos cœurs battaient la chamade. Elle s'acheva dans une onde de plaisir si intense que nous en perdîmes conscience, toujours soudés l'un à l'autre.

Au petit matin, nous eûmes tous les deux la certitude qu'un petit être avait choisi cette nuit où l'acte d'amour était sublimé et sanctifié par le Père et la Mère Universels, pour s'incarner.

Nous eûmes aussi le pressentiment que l'âme qui nous avait choisis, guidée par les Grands Esprits, aurait un destin comparable au nôtre mais de plus haute importance.

La Connaissance ne devait pas se perdre. Je crois que c'est à ce moment là que j'ai vraiment compris que je n'étais qu'un maillon de la grande chaîne, unique, indispensable, mais ni plus ni moins qu'un autre. Du plus petit fragment de roche à la plus grande des étoiles en passant par tout ce qui vit et tout vit, du meilleur au pire, tout a sa divine raison d'être et tout doit être respecté et aimé.

Ainsi se termina Beltaine.

* * *

Quelques semaines plus tard, nous eûmes la preuve qu'Enora était enceinte. J'explosai littéralement de joie, j'aurais voulu crier la nouvelle au monde entier.

Si tu savais comme tu m'as manqué à ce moment là Marianus ! J'aurai tant aimé partager avec toi ces instants de bonheur. J'étais comme un jeune fou et tous nos compagnons firent les frais de mon exubérance.

Ma douce femme avait beaucoup plus de retenue et c'est avec dignité qu'elle reçut les félicitations de chacun.

Je crois que je l'aimais chaque jour davantage et je ne savais qu'inventer pour le lui témoigner. Après l'euphorie vint la crainte. J'avais toujours peur qu'il ne lui arrive quelque chose et il m'était impossible de rester loin d'elle plus de quelques instants. J'avais l'impression de l'agacer considérablement, j'en eus bientôt la confirmation.

- Mon Amour, je t'en prie, cesse de t'inquiéter ainsi. On dirait que je suis la première femme à attendre un bébé. C'est une chose tout à fait naturelle, tu sais et si j'ai parfois quelques malaises, c'est inhérent à mon état. Je suis en parfaite santé et l'enfant que je porte aussi. Alors reprends-toi et cesse de tourner autour de moi constamment. Tu m'énerves Yan ! J'ai du mal à supporter ton comportement.

Elle avait vraiment l'air irrité et c'est la première fois qu'elle me parlait ainsi, sèchement, sans aménité. Ses yeux lançaient des flammes et je ne savais trop quoi dire.

- Pardonne-moi ma Douce. Enfin douce, ce n'est pas le terme qui convient exactement. Je ne t'avais jamais vu en colère, Enora et je ne sais trop quoi dire !

- Alors ne dis rien et occupe-toi un peu plus sérieusement de ton travail, tu négliges tout en ce moment. Va et laisse-moi tranquille !

Sur ce, elle me tourna le dos et je restai là, le coeur gros, ayant du mal à comprendre ce qui m'arrivait. J'avais l'impression d'être un enfant châtié injustement. Enfin j'obéis et m'éloignai, un peu perdu et très malheureux.

De toute la journée je ne m'approchai d'elle et me lançai dans des tâches très physiques pour apaiser ma peine.

Le soir nous fit inévitablement nous retrouver et je ne savais trop quelle attitude adopter lorsque nous regagnâmes notre couche. Ma femme ne semblait pas éprouver le même dilemme et c'est avec naturel qu'elle se blottit dans mes bras, ayant oublié ses paroles dures. Je la serrai contre moi sans rien dire, attendant des mots qui ne venaient pas. Son souffle régulier me fit comprendre qu'elle s'était endormie.

C'est avec beaucoup de mal que je trouvai le sommeil qui ne m'apporta guère de repos cette nuit-là.

Le lendemain, je m'efforçai d'agir comme avant et de vaquer à mes occupations habituelles. Elle avait retrouvé toute sa sérénité et lorsque je l'assistai auprès des malades, elle me sembla égale à elle même, rieuse, gentiment moqueuse, toujours efficace. Cependant quelque chose avait changé. C'était imperceptible mais je ne m'y trompai pas.

Au fil des jours, cette conviction se renforça. Elle était tendre, amoureuse mais d'une manière différente et cela me torturait. Je n'osais en parler à personne, encore moins à elle et je me contentais de l'observer en silence. Il me semblait que nous ne partagions plus tout comme avant. Je compris que cela était lié à sa grossesse. Je n'étais plus seul dans son coeur et j'en éprouvai une certaine jalousie.

Son corps se transformait et au cours des mois suivants, son ventre commença à s'arrondir. J'étais troublé par l'alchimie qui s'accomplissait secrètement. Etait-ce cela devenir mère ?

J'éprouvais une immense frustration à n'être que spectateur. Alors que nous avions été deux à concevoir cet enfant dans un sublime acte d'amour, c'est seule avec sa chair et son sang qu'elle le façonnait dans son sein. Je trouvais cela injuste et je l'enviais.

Je compris que mon rôle de père ne commencerait qu'à la naissance et le crûs jusqu'au jour où Enora m'appela. Elle était allongée au beau milieu du jour ce qui ne lui ressemblait pas, mais elle était fatiguée.

- Yan, approche ta tête.

Je crus qu'elle voulait caresser mes cheveux, toujours bouclés à la romaine car elle n'avait pas voulu que je change d'aspect.

- Pose là sur mon ventre. Tu sens ?

Tout d'abord, rien ne se passa et tout à coup j'eus l'impression que quelque chose bougeait. Je reçus un minuscule coup dans la joue. Je n'osais changer de place, profondément ému par ce premier contact avec notre fils. Plusieurs fois il se manifesta. J'étais bouleversé et ne pus retenir des larmes de bonheur.

- Oh ! Enora, c'est merveilleux ! Je le sens !

- Parle lui Amour. Il t'entend tu sais, il doit apprendre à te connaître.

J'avais l'impression d'être au bout d'un long tunnel et toute la souffrance de ces derniers mois remonta en moi. Cela dut se lire sur mon visage.

- Que se passe-t-il Yan ? Tu es décomposé, parle moi, je t'en prie.

Je n'en pouvais plus, je lui dis tout. Je craignais qu'elle ne se fâche ou se moque de moi mais je me trompais. Elle m'écouta sans rien dire avec beaucoup d'attention. Cela dura longtemps. Enfin je me tus. Elle prit mon visage dans ses mains et le caressa, son regard plongé dans le mien.

- Je te demande pardon mon Amour. J'ai vécu égoïstement cet état qui est la raison d'être d'une femme mais ne crois pas qu'un seul instant je t'en ai moins aimé. Je sais que j'ai été détestable avec toi. Pour ma défense, j'ai traversé des moments peu agréables mais pas un instant je n'ai pensé que tu avais aussi mal. Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?

- Tu semblais tellement différente, lointaine, que je n'ai pas osé.

- Promets-moi Yan que cela n'arrivera jamais plus. Il ne doit y avoir aucune zone d'ombre entre nous.

- Promis ma Douce. Mais toi aussi, je t'en prie, permets-moi de partager autant qu'il sera possible l'expérience que tu vis. Je sais que ce n'est guère facile mais après ce que tu m'as permis de découvrir aujourd'hui, je te sens plus proche, tout ceci est moins mystérieux.

- C'est entendu Amour. Tu sais Yan, je me sens coupable. Tu vois comme le côté humain de notre être a vite fait de reprendre le dessus. Pendant tous ces mois, mon égocentrisme m'a fait croire que cet enfant était à moi, mon bien et ma chose. Il est passé au premier plan et m'a fait oublier ma mission car je t'avoue avoir moi aussi négligé bien des tâches. Tu en as été malheureux et je m'en veux.

Elle soupira, le visage grave.

- Le pire est que j'ai occulté l'essentiel. Ce petit être ne nous appartient pas Yan. Il nous a choisi pour revenir sur cette terre et si nous avons des devoirs envers lui, ceux de lui prodiguer tout notre amour, l'entourer de notre tendresse pour l'aider à affronter la vie et ses périls et l'élever de notre mieux, nous n'avons pas de droits. C'est cela notre rôle, mon Aimé et toi, comme moi, avons tout à apprendre. Grâce à toi, cette prise de conscience aura été bénéfique.

L'avenir nous apparût soudain plus lumineux, tout rentrait dans l'ordre. Quelque part, la souffrance maintenant apaisée, j'étais presque heureux de constater qu'Enora aussi était faillible et avait ses faiblesses et je l'en aimai d'autant plus.

* * *

Et les mois passèrent fort calmement. Samain nous permit cette fois encore de nous ressourcer auprès de ceux qui étaient passés dans l'autre monde.

La mère d'Enora entra en contact avec nous. Qui mieux qu'elle pouvait comprendre ce qui se passait dans le corps de ma femme et dans nos cœurs. Nos Guides nous aidèrent également et forts de tout cela, nous entrâmes dans les mois d'hiver avec sérénité.

Il plut beaucoup au cours de cette période et les visites se firent rares. En effet, les vieillards avaient du mal à se déplacer et les adultes n'osaient affronter le mauvais temps avec leurs enfants. Plusieurs tempêtes secouèrent rudement notre forêt et je pensais à tous ces pauvres gens qui vivaient sur la côte.

Un soir Devrig nous réunit.

- Nous ne pouvons rester ainsi inactifs alors que des gens sont en danger de mort et ont besoin de notre aide. C'est donc nous qui devons aller à eux. Ma fille, ta situation ne te permet pas de prendre des risques. C'est donc à toi Yan que revient cette responsabilité. Bran t'accompagnera. A cheval vous pourrez parcourir de plus grandes distances. Qu'en pensez vous ?

La question s'adressait à tous mais c'était à moi de répondre et je tardai un peu à le faire. Il avait raison, nous devions agir mais quitter mon épouse dans son état me demandait beaucoup. Je savais cependant que c'était mon devoir et déclarai :

- Tu as raison Devrig. C'est ce que nous allons faire. Si tu le veux Bran, nous partirons après demain, le temps qu'Enora nous prépare l'indispensable et nous donne quelques conseils.

- C'est entendu Yan, je te suivrai.

A ce moment seulement j'osai regarder ma femme. Je lus dans ses yeux une lueur de fierté et de reconnaissance. Je compris qu'elle était malheureuse de ne pouvoir prodiguer ses soins et qu'elle se sentait soulagée de se sentir secondée, même si j'étais loin d'avoir sa faculté de guérir.

J'appris énormément de choses la journée suivante et le fait de l'avoir assistée si souvent m'aida beaucoup. Mais ce qu'elle m'apporta de plus précieux, c'est la confiance en moi.

- Ne te compare pas à moi, Yan. Tu as tes propres dons qui sont tout aussi importants. N'oublie jamais que tu n'es pas seul. Si tu ne sais que faire, demande l'inspiration et tu seras le premier surpris de constater ce dont tu es capable. Moi, je crois en toi.

C'est avec ce viatique que nous prîmes la route. Le chemin à travers la forêt me parut plus familier. J'avais tant observé la nature qu'elle me permettait maintenant de lire en elle. Il me semblait avoir acquis un sixième sens.

Lorsque nous atteignîmes la côte, je pris conscience du désastre. Le vent soufflait avec une force incroyable et nos chevaux pourtant habitués aux intempéries, avaient bien du mal à avancer. La mer était démontée et des vagues échevelées venaient se briser avec fracas sur les rochers, le bruit était effrayant. L'écume volait jusqu'à nous comme d'énormes flocons de neige et les embruns eurent vite fait de nous transformer en statues de sel.

 Nous devions nous mettre à l'abri au plus tôt car lutter contre ces éléments déchaînés était à la fois éprouvant et dangereux. Heureusement, le premier village était proche et on nous accueillit sans difficulté.

La famille chez qui nous avions trouvé refuge nous procura des vêtements secs et c'est avec plaisir que nous prîmes place auprès de l'âtre. Une boisson chaude acheva de nous revigorer et en attendant le repas du soir, la conversation s'engagea. Ils voulaient savoir pourquoi nous étions là. Dans leur esprit, seul un événement important avait pu nous amener à quitter notre cachette et à affronter les intempéries. Lorsqu'ils comprirent que nous étions venus pour les aider et les soigner, le soulagement s'inscrivit sur leurs visages.

- Vous allez avoir fort à faire, nous dit le chef de famille, toutes ces tempêtes ont causé d'énormes dégâts et continuent de le faire. Les blessés ne se comptent plus, sans parler de ceux qui ont tout perdu, y compris les hommes disparus en mer. Notre fils aîné n'est pas revenu et je me demande ce que nous avons fait aux Dieux pour qu'ils se vengent ainsi.

Je compris alors que les âmes avaient autant besoin de nos soins que les corps.

La tourmente diminua un peu mais il nous fallut plusieurs jours pour parer au plus urgent et secourir tous ces gens.

Je dus vaincre ma répulsion du sang et me mis à recoudre les plaies et réduire les fractures comme je l'avais vu faire par Enora. Plus d'une fois je fus guidé car jamais, par mes seules connaissances, je n'aurais pu accomplir tout ce travail.

Curieusement, ce furent les malades qui me posèrent le plus de cas de conscience car j'étais incapable d'établir un diagnostic. Je m'en remis entièrement aux Etres de Lumière et je compris alors combien nous étions tous aimés et protégés car au travers de ma personne, Ils guérirent bien des êtres.

Nous allâmes ainsi de village en hameau, travaillant jour et nuit, l'urgence de la situation nous y obligeait et ce, jusqu'à ce que nous eûmes épuisé toutes nos provisions de remèdes. Poursuivre ainsi aurait été inutile et c'est recrus de fatigue que nous prîmes le chemin du retour.

Bran et moi avions pris la décision de repartir dès que possible car beaucoup n'avaient pas été secourus. J'étais un peu inquiet, me demandant si la forêt avait pu protéger l'intérieur du pays, la nature s'était déchaînée avec une telle violence que tout était à craindre.

Je fus rassuré en retrouvant notre havre de paix. On avait l'impression ici que rien ne s'était passé et j'en rendis grâce. J'eus juste le temps d'embrasser ma douce épouse avant de sombrer dans ses bras pour de longues heures de sommeil. J'en sortis frais et dispos, prêt à repartir.

Après un récit circonstancié des événements, nous fîmes le plein de tout ce qui pouvait nous être utile pour porter secours à tous ces malheureux et sans plus tarder, nous reprîmes la direction de la mer.

* * *

Les tempêtes finirent par s'apaiser et le temps peu à peu s'améliora. Bran et moi fîmes encore plusieurs voyages car la côte avait été littéralement dévastée et il restait beaucoup de gens à secourir. Nous prodiguâmes notre aide tant morale que matérielle avec toute l'efficacité dont nous étions capables. Au cours de cette période, j'acquis une solide expérience et dus vaincre mes répulsions et mes peurs devant tant de détresse.

J'avais cependant hâte que tout cela se termine car Enora était près de son terme et il me tardait de pouvoir rester auprès d'elle.

Vint le jour où nous pûmes regagner définitivement notre communauté. Ce qui restait à faire pour effacer les traces de ces catastrophes n'était plus de notre ressort. Bran et moi considérions notre devoir accompli. Lui aussi était pressé de retrouver sa jeune épouse et il y eut fête au soir de notre arrivée.

Nous parlâmes longuement avec Devrig et Enora de ce que nous avions vu et fait. Il fût alors décidé que chaque hiver lorsque le temps serait trop mauvais, nous retournerions prodiguer sur place nos soins à tous ceux qui seraient dans l'incapacité de venir voir Enora au village.

* * *

Et je repris ma vie habituelle. Ma femme avait beaucoup changé durant mon absence, je ne m'en étais pas aperçu. Elle si vive marchait lentement, les mains soutenant son ventre rond et lourd comme un fruit mûr. Ses seins avaient également grossi et j'étais terriblement ému quand je regardais sa silhouette. Je la trouvais plus belle que jamais. Elle était vraiment devenue femme, même ses traits avaient changé.

Bien qu'au ralenti, elle poursuivait ses activités de guérisseuse et lorsqu'au soir d'une journée bien remplie elle regagnait notre foyer, son visage n'était plus le même. Pâle, les traits tirés, des cernes sous les yeux, elle semblait à la fois fragile et forte, la maturité s'exprimait par tout son être. Elle acceptait maintenant que je l'aide et je faisais tout pour la soulager.

La vieille peur était revenue. Plus le moment attendu approchait, plus elle était sereine et moi anxieux. Je faisais tout pour le lui cacher mais nous étions trop proches, elle ressentait tout ce qui me touchait.

- Yan, mon amour, calme-toi. Je vais bien, notre enfant aussi. Il est maintenant pressé de voir le jour et je crois qu'il sera là à la prochaine lune. Ne fais pas cette tête là, tu ne pensais pas que j'allais le garder indéfiniment !

Mon air stupéfait la fit rire de bon coeur. J'attendais pourtant ce moment avec impatience mais je ne m'étais pas préparé à l'idée qu'il était maintenant si proche.

- Tout va bien se passer, ne t'inquiète pas. Béga m'assistera. C'est elle qui a aidé ma mère à ma naissance. Tu ne peux savoir combien de femmes elle a accouchées. Pour elle, cela ne pose aucun problème.

- Tu en es sûre ?

J'étais là, devant elle, stupide et malheureux et son rire redoubla.

- Oh ! Yan, si tu voyais ta tête ! Mais où donc est passé l'homme fier et courageux que j'ai pris pour époux ?

- C'est la première fois Enora ! Je ne sais que faire.

- Attendre sereinement. Nous ne sommes pas seuls mon amour, Ils veillent sur nous, l'as-tu oublié ?

- Pardonne moi, ma Douce. Oui, je l'oubliais, mais c'est fini maintenant, tu m'as ouvert les yeux. Pourquoi l'homme est-il toujours vulnérable ?

- C'est le prix de sa liberté Yan et dans sa prétention et son orgueil, il se trompe souvent de chemin oubliant de demander l'aide dont il a besoin. C'est aussi simple que cela !

Je pris doucement ma femme dans mes bras, remerciant intérieurement les Grands Esprits de m'avoir fait ce don merveilleux et leur demandant d'accorder toute leur protection à la mère et à l'enfant qu'elle portait.

* * *

C'est en plein coeur de la nuit que je fus brutalement tiré de mon sommeil. Enora gémissait doucement et je compris que l'heure de sa délivrance approchait.

- Que se passe-t-il mon Petit, tu souffres ?

- Je crois que le travail a commencé Yan.

Je bondis de notre couche, complètement éveillé et je m'habillai fébrilement.

 - Doucement mon Amour, nous avons le temps.

- Je vais chercher Béga.

- Laissons là dormir encore un peu. Il se passera encore de longues heures avant que notre enfant naisse. Je ne ressens que les premières douleurs. Je t'en prie, viens t'allonger près de moi et attendons ensemble.

Je n'osai la contrarier et m'étendis à son côté, cherchant à cacher ma nervosité. Chaque minute me semblait des heures et je ne supportais plus cette pénombre que la pâle clarté de la pleine lune dissipait à peine. Je me relevai, allumai la lampe à huile et ranimai le feu car il faisait froid.

La pièce était maintenant éclairée d'une chaude lumière et je pouvais scruter le visage de la femme aimée et y épier le moindre signe de douleur.

Elle se mit à rire doucement.

- Arrête de me regarder ainsi mon Aimé. Viens, nous allons prier pour notre petit. Il va vivre des moments pénibles, c'est sa première épreuve, l'une des deux plus importantes de sa vie. Je crois que le premier inspir a de quoi effrayer toute âme qui s'incarne. Nous devons l'aider et demander aux Etres de Lumière de l'assister.

Elle prit mes mains dans les siennes et nos pensées se mêlèrent, s'élevèrent jusqu'à ressentir les hautes énergies auxquelles nous nous abandonnâmes avec confiance.

Le retour à la réalité fût brutal. Enora poussa un cri et en ouvrant les yeux, je vis son visage couvert de sueur.

- Cette fois, je crois qu'il est temps. Va chercher Béga, vite, et préviens mon Père... Yan, serre moi fort dans tes bras.

- Courage, mon Amour ! Sois forte, je reviens.

Tout en courant vers la maison de la vieille, je revoyais la lueur de peur qui un instant avait envahi le regard de ma femme et cela me la rendit plus chère encore.

Je tambourinai comme un fou à la porte de chêne et lorsque Béga m'ouvrit, elle ne demanda aucune explication.

- Tiens, aide-moi. Accompagne-moi et porte cela.

Son panier d'osier était rempli de linges, de pots et de divers objets qui m'intriguèrent mais je n'eus guère le temps de la questionner. Je lui ouvris la porte de notre logis et m'apprêtai à la suivre mais elle me barra le passage.

- Nous n'avons pas besoin de toi pour le moment. Éloigne-toi et ne reviens que lorsque je t'appellerai.

Je restai sur le seuil comme un enfant puni, ne sachant que faire lorsque je me souvins qu'il me fallait prévenir Devrig. Celui-ci m'accueillit avec son calme habituel et me prenant pas les épaules, me fit entrer.

- Assieds-toi près du feu, l'attente sera longue et la nuit est froide.

Il avait l'air heureux et tranquille alors que je bouillais d'impatience.

- Devrig, c'est terrible d'être là, impuissant ! Pourquoi faut-il que les femmes souffrent autant pour mettre leurs enfants au monde ?

- Pourquoi ? Parce qu'elles ont peur. Lorsque le mental est troublé il ne sait plus commander au corps, l'aider, le guider. C'est de là que naît la douleur.

- Enora avait peur !

- Elle a eu peur un court instant. C'est humain. Mais elle s'est reprise et maintenant tout va bien..

- Tu parles comme si tu étais là-bas !

Il me regarda en souriant. Il était là-bas... A son contact, la détente vint peu à peu et lorsqu'enfin le soleil se leva, j'avais retrouvé mon calme. J'empruntai quelques vêtements chauds et des fourrures au druide et sortis. Tout naturellement, je me dirigeai vers le menhir et m'assis à son pied. Très vite, je ressentis l'étrange énergie qui en émanait m'envahir corps et âme et perdis conscience de mon identité.

* * *

Tout à coup, je m'entendis appeler.

- Yan, viens, Enora te demande !

Je me précipitai au chevet de mon épouse dont le ventre dénudé était luisant et distendu.

- Yan, j'aimerais que tu restes auprès de moi. Notre petit ne va pas tarder à arriver et je voudrais que nous partagions ce moment.

Elle s'arrêta de parler, de fortes contractions survenant. Elles étaient de plus en plus rapprochées. Je lui pris la main qui se crispait parfois convulsivement sur la mienne.

- Cette fois, nous y sommes ma belle, je vois sa tête !

Dès cet instant, tout alla très vite. Enora se concentra sur les efforts à fournir et en moins de temps qu'il en faut pour le dire, j'entendis un vagissement vigoureux et vis gigoter notre fils que Béga portait à bouts de bras. Je tombai à genoux auprès de la jeune maman et des larmes de bonheur inondèrent mon visage.

Il y eut alors beaucoup de remue-ménage mais je n'en n'eus pas conscience, je n'avais d'yeux que pour le visage las et resplendissant de ma femme et le petit être magnifique qu'elle tenait sur son sein.

Désormais, nous étions trois mais jamais autant qu'à ce moment là, nous n'avons ressenti une telle unité.

Oh! Petit Frère, comme j'aurais aimé que tu sois présent pour partager ce bonheur immense. Je pensais tellement fort à toi que j'eus tout à coup la certitude que tu savais. Où que tu sois, je sentais que tu avais reçu mon message et qu'il te remplissait de joie.

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