Chapitre 19

 

Au campement, où rien ne bougeait encore, je supposais que la fête s'était prolongée tard dans la nuit, je retrouvai Devrig qui semblait m'attendre. Je me précipitai dans ses bras et sentis que cette fois, c'est moi qui lui communiquais mon énergie.

 - Je reste Père. Je te demande de me pardonner tout le mal que je t'ai fait.

- Je n'ai rien à te pardonner Yan. Je sais combien a été dure cette épreuve. Par

deux fois j'ai vécu cela. Lorsque ma femme a rejoint l'autre monde, moi aussi j'ai perdu pied. J'étais jeune comme toi et ma réaction a été aussi très négative. Pour Enora il en a été autrement car maintenant, je sais.

Il me sourit avec affection.

- Je suis heureux que tu restes mon fils. Tu es désormais le seul à qui je puisse transmettre le flambeau. Tu devras en entretenir la flamme. A toi de découvrir avec l'aide de tes Guides qui en sera le prochain dépositaire.

Cela me parut une bien lourde responsabilité mais j'avais le temps de m'y préparer. Dans l'immédiat, il m'en incombait une bien plus urgente et sans attendre, je déclarai fermement.

- Devrig, je veux voir mes fils, mes trois fils.

Son visage s'éclaira.

- Ils attendent leur père Yan. Ils sont avec Bran et Kanna. Tu vas voir comme ils sont beaux.

Il me prit par le bras et m'emmena vers eux. Mon coeur battait follement et j'éprouvai une certaine appréhension, incertain malgré tout de ma réaction.

- Ils ont pour nom Morgan et Konogan.

Eliaz, qui le premier m'avait vu, se précipita vers moi. Je lui ouvris tout grand les bras et après une fraction de seconde d'hésitation, il s'y jeta. Je le serrai contre moi avec tendresse et lui murmurant tous les mots doux auxquels je l'avais habitué et dont il avait été sevré depuis trois longs mois. Comme il avait dû être malheureux lui aussi !

- Fils, mène-moi vers tes frères.

Il me prit la main et bondit comme un cabri en me tirant de toutes ses forces.

Kanna était assise, un bébé dans chaque bras et je m'avançai vers eux, incapable de prononcer un mot. Je tombai à genoux, avide maintenant de les voir. Ils ouvrirent les yeux, de grands yeux bruns, tes yeux, Petit Frère. Pour tout le reste, il me sembla voir Enora, cheveux blonds presque roux, finesse des traits.

Comme s'ils m'avaient reconnu, ils m'adressèrent un large sourire qui me toucha au plus profond de moi. Je pris place sur le tronc d'arbre à côté de Kanna et elle comprit mon appel muet. Elle en déposa un dans chacun de mes bras avec délicatesse.

Je les couvris de baisers et de larmes tout en leur demandant tout bas pardon pour mon abandon. Comment ne pas aimer ces petits êtres qui sentaient le lait et ce parfum indéfinissable qu'ont les bébés ! Comment avais-je pu en vouloir à ces innocents nés de l'immense amour que ma femme et moi avions l'un pour l'autre !

Je sentis tout-à-coup une présence devant moi. C'était Eliaz qui nous regardait d'un air où se mêlaient la joie, la gravité et un peu de perplexité. Je ne voulais pas qu'il se sente exclus, c'est à quatre que nous devions partager ce moment. Il comprit mon regard et de ses petits bras enserra nos trois têtes contre lesquelles il appuya la sienne. Nous vécûmes un long moment ce bonheur silencieux jusqu'à ce que j'entende la voix tremblante et un peu anxieuse d'Eliaz dire :

- Père ! Morgan, Konogan et moi, nous t'aimons très fort. Tu ne nous quitteras plus n'est-ce pas ? Plus jamais ?

- Non mon fils, plus jamais ! Je vous aime, moi aussi, et j'ai besoin de vous autant que vous avez besoin de moi. Tout va changer, tu vas voir. Notre nouvelle vie commence et je te promets qu'elle sera belle car c'est nous quatre qui allons la construire, aidés par tout l'amour que votre maman nous porte du monde tout proche où elle vit.

J'aurais voulu m'occuper intégralement de mes fils mais il fallut me rendre à l'évidence, c'était impossible. Kanna avait sevré sa petite fille un peu plus âgée pour nourrir les miens et ils avaient besoin de ce lait maternel.

Mes activités occupaient le plus clair de mon temps, aussi il fût convenu avec mes amis que les petits resteraient avec eux. Je leur consacrerais toutes mes soirées et mes moments libres. J'étais un peu déçu mais dus me rendre à l'évidence. Il en aurait été de même si Enora avait vécu.

Par contre Eliaz vivrait avec moi et je décidai de lui donner la même éducation que celle qui avait été la nôtre. Il était très mûr pour ses huit ans et je savais pouvoir lui accorder une liberté totale. Il vivrait ainsi jusqu'à ses douze ans où commencerait alors son instruction.

Les quelques enfants que comptait la communauté étaient pour lui de joyeux compagnons, surtout le fils aîné de Bran, son ami inséparable. En les regardant, je pensais à nous Petit Frère. J'espère qu'ils étaient aussi heureux que nous l'avions été.

Apparemment, il s'était bien remis de la mort de sa mère et je crois que c'est mon attitude qui l'avait fait le plus souffrir. Nous nous étions expliqués de cela avec sincérité et avec sa profonde sensibilité et sa maturité précoce, il avait compris.

Il me rejoignait très souvent aux champs et observait tout avec sérieux. Je ne jouais pas les pédagogues et me contentais de susciter ses questions et d'y répondre. Souvent il me demandait de participer et je dois avouer qu'il s'y prenait très bien. Lui aussi avait aussi un sens inné de la terre et son amour de la nature lui permettait de communiquer tout naturellement avec elle.

Souvent le soir, lorsque nous avions regagné notre logis, il me demandait de lui raconter notre enfance romaine et ne me faisait grâce d'aucun détail. C'est avec plaisir que je me laissais aller à ces souvenirs où tu étais omniprésent Petit Frère.

Un jour, il me dit :

- Lorsque je serai grand, j'irai à Rome, Père.

Je ne m'attendais pas à cela aussi je lui demandai extrêmement surpris.

- Mais qu'iras-tu faire là-bas Eliaz ?

- Connaître ma famille. Je suis à moitié romain, ne l'oublie pas. Et puis, il doit être tellement beau ton pays ! J'essaye de l'imaginer mais c'est difficile. Pourtant tu le racontes bien, Père. Dis-moi encore la vigne, les oliviers, comment vous faisiez le vin et l'huile ?

Et je reprenais le fil de ma narration. Dès son jeune âge, je lui avais parlé en latin et il n'avait aucune difficulté à manier cette langue. Souvent il me disait :

- J'aimerais connaître mon oncle Marianus. Je lui ressemble vraiment ?

- Autant que tu me ressembles, mon fils puisque lui et moi sommes jumeaux comme Morgan et Konogan.

- Tu sais que je suis le seul à les distinguer l'un de l'autre ?

- Moi aussi Eliaz, je les reconnais.

- C'est normal, tu es leur père !

Oh oui ! J’étais leur père ! Comment avais-je pu l'oublier un seul instant !

* * *

Les mois, les années passèrent, rythmées par les saisons et les fêtes ponctuelles qui les annonçaient. Nous vivions de plus en plus retirés du monde mais il me manquait rarement. Entre mes tâches de paysan, les soins et l'éducation donnés à mes fils, je ne chômais guère.

Je consacrais de longs moments à la méditation. Il était vital pour moi d'abandonner mon corps physique, de faire taire mon mental pour m'unir au Grand Tout et m'y ressourcer. Il n'y avait plus dans mon coeur aucune tristesse, pas même de la nostalgie. Je pouvais désormais sans souffrir repenser au passé et revivre les nombreux instants de bonheur gravés dans ma mémoire. Enora était si présente en moi qu'elle me semblait encore plus proche que de son vivant. Elle me parlait, me guidait et il m'arrivait, les yeux clos, de la voir dans sa robe de lumière.

Je concevais alors combien nos deux mondes s'interféraient et je ne me sentais jamais seul.

Morgan et Konogan ne semblaient pas affectés par le manque de leur mère. Ils se suffisaient à eux-mêmes comme nous l'avions fait nous aussi, Petit Frère. J'avais souvent en les regardant, l'impression de voir se dérouler le fil de notre jeune vie, seul le décor avait changé. Tous les membres de la communauté formaient pour eux une grande famille et ils vivaient libres et sans souci.

Eliaz, par contre, était très proche de moi. Il se souvenait très bien de la tendresse maternelle et nous parlions très souvent ensemble de la femme qui avait illuminé notre vie.

Il avait maintenant douze ans. C'était un garçon joyeux, ludique et cependant étrangement mûr. Il avait hérité des dons de sa mère et je m'aperçus très vite que dès son plus jeune âge, la Connaissance lui avait été révélée. Je crois même qu'elle était innée chez lui.

Je compris la raison pour laquelle il nous avait choisis en se réincarnant. L'oubli de nos vies antérieures et de la mission que nous choisissons d'accomplir, nous oblige souvent à un long et pénible cheminement au cours de notre existence. Beaucoup d'êtres se perdent en route c'est pourquoi il était important pour lui d'être éclairé très jeune, au moment où notre vieux monde disparaissait, submergé par la montée du christianisme. Son âme était assez forte pour traverser les turbulences que cela engendrait car je pressentais que déjà de fortes déviances entachaient le Message de Jésus.

Les temps à venir seraient sombres et pour traverser ces périodes d'obscurantisme il faudrait de par le monde beaucoup d'êtres capables de porter au dessus des ténèbres le Flambeau de la Lumière Divine. Eliaz était un de ceux-là, j'en avais l'intime conviction.

* * *

Il était temps pour mon fils aîné d'entreprendre ses études, comme nous l'avions fait à son âge. Je me chargeais de lui apprendre le latin, Urfol et Devrig beaucoup plus instruits et cultivés que moi lui enseigneraient toutes les autres disciplines. Son esprit vif et intelligent enregistrait très vite et tout le passionnait.

Il me semblait être la synthèse de nous deux Petit Frère. Il avait mon goût pour tout ce qui touchait la nature et ton côté intellectuel. Dès cette époque là, il fût pour moi un compagnon autant qu'un fils.

Notre reconversion avait attiré un certain nombre de membres d'autres communautés et notre village s'était agrandi. Nous vivions pratiquement en autarcie et l'argent n'avait pas cours entre nous. Néanmoins, il nous fallait acheter certains produits qui nous manquaient, nous en obtenions donc en vendant le surplus de nos récoltes, nos médecines et certaines fabrications artisanales.

Devrig gérait nos finances et notre système fonctionnait à merveille.

Il était toujours le chef spirituel incontesté simplement parce que sa sagesse et sa relation avec le divin étaient incontestables. Pour tous, j'étais son fils spirituel appelé un jour à lui succéder. Je savais qu'il n'en serait rien. Je n'étais que le maillon indispensable de la chaîne qui le reliait à Eliaz mais ma responsabilité n'en était pas moins lourde pour autant. Enora avait raison. Je percevais maintenant le sens de ma vie et je ne m'y déroberais plus.

* * *

Un matin, je m'éveillai seul. Eliaz avait déjà quitté la maison sans que je l'entende. Je ne m'inquiétai pas, il lui arrivait de partir dès l'aube et je respectais son besoin irrépressible de solitude. Pourtant ce jour-là, la curiosité fût la plus forte et je me hâtai de quitter ma couche.

Le soleil était à peine levé et tout n'était que douceur, que senteurs printanières. Instinctivement, je me dirigeai vers le verger. Nos arbres fruitiers commençaient à avoir belle allure et croulaient sous les fleurs. C'était d'une incroyable beauté et je m'arrêtai un moment pour me pénétrer de ce spectacle, non sans une certaine fierté car c'était en partie mon œuvre.

J'aperçus à ce moment mon fils en pleine contemplation, les yeux levés vers le ciel d'un bleu que n'entachait pas le moindre nuage. Pendant un long moment je l'observai, n'osant troubler sa quiétude.

Tout à coup, il se tourna vers moi comme s'il avait perçu ma présence. Son regard rêveur s'illumina d'un tendre sourire et il s'approcha à pas lents. Une fois à mes côtés, il regarda à nouveau vers les arbres.

- C'est beau, Père !

- Oui mon fils. Tout cela nous promet de belles récoltes.

- Il serait possible d'agrandir le verger ?

- Bien sûr, ce n'est pas l'espace qui manque mais ne crois-tu pas que tel qu'il est, il suffit à nos besoins ?

- Nous pourrions y planter d'autres variétés.

 - Mais quoi donc ?

Je sentais l'excitation monter en lui et c'est d'un ton vibrant qu'il me fit part de son projet un peu fou.

- Père, j'aimerais que nous plantions de la vigne et des oliviers. Tu vois là-bas, il y a un coteau bien exposé et à l'abri des vents. Je crois qu'il conviendrait parfaitement !

Je restai un moment bouche bée, je m'attendais à tout sauf à cela.

- Eliaz, ce n'est pas possible. Les oliviers ont besoin de chaleur et de peu d'eau. La terre où ils poussent n'est pas de même nature que celle-ci. Cet arbre ne pourrait pas s'acclimater en Armorique. Il ne faut pas y songer mon fils.

La déception se peignit sur son visage. Son sang latin le portait vers ces désirs que j'avais alimentés par mes récits et je le sentais frustré.

- Et la vigne, c'est impossible aussi ?

- Cela je l'ignore. Je n'en ai jamais vu dans nos contrées. Par contre, il y en a un peu partout en Gaule. Elle semble s'adapter assez facilement, bien qu'exigeant aussi du soleil, peu de pluie et un sol qui lui convient. La qualité de son raisin et le vin que l'on en tire dépendent de ces facteurs. Crois-moi, en certains endroits il est presque imbuvable.

- Cela ne nous coûterait pas beaucoup d'essayer ! Oh Père ! Accepte, je t'en prie.

Il se dégageait de ce garçon un charme étrange, sa fougue et son enthousiasme étaient communicatifs. Aussi, après un temps de réflexion, je lui donnai ma réponse.

- Je ne suis pas convaincu que nous obtiendrons de bons résultats mais après tout, tu as raison, pourquoi ne pas tenter l'aventure ?

Il me sauta au coup et m'embrassa sauvagement.

- Oh ! Merci, merci ! Si tu le permets, je vais tout de suite me mettre au travail et défricher là-bas, je suis sûr que c'est le meilleur emplacement. Tu m'aideras, dis ? J'aimerai que cela soit notre création à tous deux, tu veux bien ?

Cet adolescent de quatorze ans presque aussi grand que moi, avait un côté très enfantin qui me plaisait. Cela lui donnait un équilibre certain que j'avais envie de préserver à tout prix.

- C'est entendu mon Fils, nous nous y attellerons dès demain. Mais n'oublie pas qu'en priorité tu dois te consacrer à tes études et que nous ne devons pas négliger le travail communautaire !

* * *

Au beau milieu de l'été, nous en avions terminé. Nous avions consacré tous nos loisirs et souvent pris sur notre sommeil pour abattre, extirper les souches, défricher et finalement labourer. Cette jolie parcelle de terre était maintenant bien propre et allait se reposer avant que nous lui confiions les jeunes plans porteurs de nos espoirs un peu fous.

Je n'avais aucune idée du résultat que nous obtiendrions mais ce travail en commun nous avait énormément rapprochés et enrichis. Les membres de la communauté dont pratiquement aucun n'avait quitté cette contrée, se moquaient gentiment de nous mais sans aucune méchanceté.

Curieusement jamais Eliaz ne m'avait demandé où nous irions chercher les précieux pieds de vigne. Il était impensable qu'il ne se pose pas le question mais jamais il ne la formula. Je lui en réservais la surprise. J'avais fait part à Devrig de mon projet et il y avait souscrit sans réticence.

Le Grand Druide vieillissait et je sentais que tôt ou tard, il me faudrait endosser ses responsabilités. Il ne serait plus question alors de partir, c'était peut-être la dernière occasion. J'avais envie de faire découvrir à mon fils d'autres cieux, de lui apprendre à voyager, de revivre avec lui et à travers lui la joie de la découverte.

Des petites ailes me poussaient aux talons et je me sentais à nouveau très jeune les ans ne pesaient pas encore très lourd sur mes épaules. Il me tardait de lui annoncer la nouvelle.

Un soir où nous contemplions ensemble la belle terre noire de notre champ, je ne pus résister plus longtemps.

- Ne penses-tu pas Eliaz qu'il serait temps de penser à la manière dont nous nous procurerons les ceps que nous planterons à l'automne ?

Son regard s'illumina.

- Oh Oui Père ! Comment allons-nous faire ?

Je ne pus m'empêcher de le taquiner.

- Il passe sur la côte de nombreux marchands voyageurs. Nous pourrions leur confier le soin de nous en chercher et de les rapporter, qu'en penses-tu ?

Son visage s'assombrit et sans enthousiasme il répondit :

- Oui, c'est une solution. Mais crois-tu que ces hommes qui n'y connaissent rien hormis le commerce, sauront comprendre notre problème et trouver les variétés qui conviendront le mieux ?

- Ce n'est pas certain, effectivement. Vois-tu une autre solution ?

Il se tortilla mais resta muet. Je n'eus pas le coeur de le faire languir plus longtemps.

- Je pense que pour éviter les erreurs, le mieux serait que nous y allions nous-mêmes. Mais peut-être n'en as-tu pas envie ?

Il bondit, galvanisé.

- Oh si ! Partons Père ! Mon Dieu que je suis content ! Si tu savais comme j'espérais cela !

Mon fils me connaissait mal ! Comme si je n'avais pas deviné depuis longtemps son désir profond !

- Quand partons-nous ? Où irons nous et comment ? Y as-tu déjà réfléchi Père ? Dis-moi, je t'en prie !

Il avait du lui falloir une très grande force de caractère pour avoir contenu si longtemps les questions qui maintenant se bousculaient.

- Doucement Eliaz, calme toi, laisse-moi parler.

Il se tût, suspendu à mes lèvres.

- Nous partirons sans tarder, juste le temps nécessaire à nos préparatifs. Nous irons à cheval. Nos bêtes sont un peu vieilles mais encore très vaillantes. Tu vas apprendre ce que c'est que de chevaucher. Cela n'a rien à voir avec tes petits tours de clairière, tu sais ! Nous irons vers le sud. Il y a là-bas des terres très riches où tout pousse avec facilité. Je pense que nous trouverons là ce que nous cherchons.

- Le sud de la Gaule ? Nous n'irons pas à Rome ?

- Non Fils. C'est beaucoup trop loin et ce périple nous demanderait trop de temps. Mais tu ne le regretteras pas, tu verras. Tu auras plus de temps pour découvrir les contrées que nous traverserons. Il en est de très belles, crois moi. Cela sera en quelque sorte pour toi une initiation au voyage.

- C'est déjà plus que je n'espérais Père. Je te remercie du fond du coeur, je suis fou de joie !

Il me serra très fort dans ses bras et me prit la main.

- Viens maintenant. J'ai hâte de partir et nous avons fort à faire avant.

Je le suivis aussi pressé que lui de prendre la route. J'avais quelques scrupules à laisser Morgan et Konogan mais ils étaient trop jeunes pour affronter la vie rude qui nous attendait et peut-être ses périls. Très égoïstement, j'avais aussi envie d'être seul avec mon fils aîné. Je voulais goûter tous les plaisirs de cet intermède qui serait sûrement le premier et le dernier. J'aimais mon mode de vie et ne désirais pas en changer mais cela ne m'empêchait pas de me réjouir de ce voyage qui je le sentais, serait bénéfique.

* * *

Je n'avais plus repris la route depuis mon union avec Enora. Cela ne m'avait certes pas manqué mais le goût de l'aventure se réveilla en moi et je partageai sans retenue l'enthousiasme de mon fils.

Trois jours plus tard, nous étions prêts et c'est avec allégresse que nous quittâmes notre communauté.

Je sentais tout au fond de moi qu'il était important de profiter de cette expérience pour ouvrir l'esprit d'Eliaz au monde et lui apprendre à vivre et parfois survivre lorsque l'on est en pays inconnu. Je n'eus aucun mal à le faire tant son avidité à apprendre était grande. Il s'émerveillait de tout et son sens de l'observation était très vif.

Dès que nous eûmes rejoint la côte, je constatai à quel point la montée de ta religion mon Frère, avait été rapide. Dans chaque village, chaque bourgade, on voyait quantité de moines. Un peu partout ces prêtres construisaient des églises. Ce qui me surprit le plus c'est de constater que les sites qu'ils choisissaient étaient le plus souvent ceux où se pratiquaient les anciens cultes celtes. Ils bâtissaient généralement à l'endroit où des mégalithes dont l'origine remontait à la nuit des temps, avaient été érigés. Ainsi ils obtenaient un double résultat. Ils effaçaient dans la mémoire des gens tout ce qu'ils considéraient comme païen et surtout, ils s'appropriaient les hauts lieux où les Grandes Energies se rejoignaient. Etait-ce conscient ? Avaient-ils eux aussi le pouvoir de ressentir ces forces divines ou était-ce simplement le fruit de leur stratégie ?

Nous reprîmes à l'envers le chemin que j'avais parcouru lors de l'expédition de notre armée. C'est ainsi que je fus amené à raconter ma vie, sans rien cacher, sans concession et je fus surpris de constater que tous les événements tragiques que j'avais vécu ne m'affectaient plus.

Eliaz fût fort impressionné par mon histoire et je pris conscience du fait que trop bien protégé dans notre retraite, il ignorait tout du monde, de sa violence, de sa réalité. Je pressentis que cette initiation ne serait pas inutile.

L'été étant particulièrement chaud, nous bivouaquâmes la plupart du temps. Je ne sais ce que j'appréciais le plus, ces longues soirées où en totale communion nous parlions jusqu'à ce que le sommeil nous gagne ou la joyeuse complicité des heures ensoleillées lorsque nous chevauchions de concert. Je retrouvais ma jeunesse. Je voyais par ses yeux, je découvrais au travers de sa curiosité. Je m'amusais et riais comme un adolescent, j'étais heureux.

J'avais hâte d'arriver dans cette magnifique région où j'avais eu le privilège de connaître Claudius, mon ami. Grâce à lui ou plutôt grâce aux Entités qui l'avaient mis sur mon chemin, mon âme troublée et tourmentée avait, pour la première fois, entrevu la Lumière.

C'est à cette époque que j'avais commencé à comprendre que j'avais une raison d'exister et que, malgré l'incohérence de ma vie, j'allais vers mon destin. Cet avenir inconnu m'attendait loin du tumulte et de la violence, au delà du sang versé et de la souffrance.

Mon aide de camp m'avait appris à accepter l'inacceptable, insufflé la force et le courage d'accomplir mon devoir, donné l'espoir et surtout ranimé ma foi. Je pensais souvent à lui, à la chaleur de nos relations. Je savais que Claudius avait l'intention de s'installer dans ce pays à la terre généreuse mais je sentais qu'il était vain de tenter de le retrouver.

Souvent au cours de nos séjours sur terre il nous est donné de rencontrer des êtres d'exception qui nous prennent par la main et nous accompagnent un bout de chemin. Leur mission accomplie, ils nous quittent pour suivre leur propre route mais restent toujours présents dans notre mémoire et notre coeur. Mon ami avait été un de ceux-là.

* * *

 Nous descendions vers le sud ouest. Les vignobles étaient de plus en plus nombreux et la région semblait très prospère. Nous ne faisions pas mystère de la raison qui nous amenait et partout on nous réservait un accueil chaleureux. Nous finîmes par prendre pension chez des paysans qui se consacraient entièrement à la culture de la vigne et à la fabrication du vin.

Tout naturellement, nous participâmes aux travaux avec ces hommes qui connaissaient parfaitement leur affaire. Les méthodes étaient différentes de celles que nous employions à la villa de nos parents mais pas suffisamment pour que je ne retrouve pas d'instinct les gestes à accomplir.

Eliaz s'investissait à fond dans son apprentissage et je le voyais assez peu dans la journée. Il était comme moi doué pour les langues et grâce au latin et au gaulois, en très peu de jours, il pût comprendre et surtout s'exprimer dans la langue du crû.

Lorsque la nuit tombait, des feux s'allumaient un peu partout. La douceur de l'air permettait de longues veillées. Tout le monde mangeait, chantait, dansait dans une insouciance joyeuse. On discutait aussi beaucoup et je pus constater combien la mentalité de ces gens était différente de celle des celtes.

Un soir où j'éprouvai le besoin d'un peu de solitude, je partis marcher sous la lumière pâle et magique de la lune. Je me sentais bien, détendu, l'air sentait bon, tout était paisible. Je m'attardai assez longtemps, retrouvant dans le contact intime avec la nature, la communion avec le Grand Tout auquel j'aspirais de plus en plus souvent.

En rentrant, je m'aperçus que tout le monde dormait ou presque. Un seul foyer répandait encore une chiche lumière. De nombreuses silhouettes se serraient autour, silencieuses. Seule une voix claire et passionnée montait dans la nuit. Je reconnus sans peine celle de mon fils et m'approchai sans bruit.

Il était entouré de jeunes gens qui semblaient suspendus à ses lèvres. Malgré la pauvreté de son vocabulaire, avec des mots simples, il leur parlait des civilisations qui nous avaient précédés et des religions passées, de l'évolution de l'humanité, de sa place dans la chaîne de vie de notre planète et de l'importance de la mission de chacun. Il émanait de lui un tel charisme que j'eus la confirmation de ce que je pressentais. Cet adolescent qui n'avait jamais quitté notre clairière était un voyageur du temps et de l'espace, un être inspiré porteur de la Connaissance.

Son discours n'avait rien à voir avec les prêches terribles que tes semblables Petit Frère, prononçaient devant des hommes effrayés qui courbaient l'échine. Il était clair, porteur d'espoir et incitait à la fierté d'être, à la tolérance et à la compréhension.

Il régnait autour de ce feu une ambiance chaude, amicale où les rires et les questions fusaient parfois. Je me sentais tout petit, plein de respect devant cet adolescent joyeux, à la sagesse infuse. Je rendis grâce aux Père et Mère Universels et invoquai leur protection pour tous ces enfants responsables du monde de demain.

Désormais, mon rôle de père était évident. Je devais le préparer à affronter une vie qui, j'en étais sûr, ne serait pas sédentaire. Mon fils ne serait pas druide !

* * *

Nous avions décidé de rester jusqu'aux vendanges auxquelles nous nous réjouissions de participer. Pour moi, c'était un retour vers mon passé alors que pour Eliaz cela représentait l'avenir. Je ne voulais pas casser son rêve mais je savais que même si la vigne arrivait à pousser en Armorique, jamais elle n'arriverait à produire des grappes aussi gonflées, gorgées de jus parfumé et sucré. Le vin que l'on en tirerait ne saurait rivaliser avec le délicieux breuvage produit ici. Mais il faut parfois savoir aller au bout de ses désirs, on en tire toujours un enseignement.

Il n'y avait désormais plus qu'à laisser faire la nature durant les quelques semaines qui précédaient la récolte aussi nous reprîmes la route pour mieux découvrir cette belle contrée.

Je me souvenais de cette chaîne de montagnes imposantes que nous avions longé avec l'armée et je décidai d'aller vers elle. Mon fils fût fasciné par ces paysages sauvages et la majesté de ces pics qui s'élançaient vers le ciel. Nos chevaux étaient désormais trop âgés pour l'escalade et c'est à pied que nous partîmes vers les hauteurs.

J'avais décidé de faire de cette excursion une épreuve d'endurance pour aguerrir un peu mon petit homme. De vallées en sommets, de descentes en montées de plus en plus scabreuses, nous progressions lentement, assez lourdement chargés. Jamais il ne se plaignit de la fatigue ou du froid grandissant. Il semblait totalement pénétré par la beauté de la montagne, envoûté par elle. Peu lui importait l'effort, seul le but avait de l'importance.

J'eus l'impression très forte que sa vie serait à l'image de cette ascension et qu'il saurait braver tous les périls, ne perdant jamais de vue le sommet qu'il désirerait atteindre.

Nous fîmes des rencontres inattendues et dangereuses. Les ours et les loups étaient nombreux dans les parages mais ils n'étaient pas affamés en cette saison. Le seul vrai risque encouru aurait été de déranger et d'alarmer une mère et ses petits ou de nous montrer agressifs. Aussi, nous fîmes très attention, nous avions l'habitude de respecter la faune sauvage qui ne manquait pas chez nous.

Une fois dépassé le stade de la forêt, nous eûmes à faire à la roche nue. Ni l'un ni l'autre n'étions rompus à l'alpinisme mais nous étions trop près de la crête pour renoncer. Après des efforts, des maladresses qui auraient pu être désastreuses, nous atteignîmes enfin la cime et là, ce fût l'émerveillement.

Muets, nous contemplions ces montagnes grandioses qui nous cernaient. Certains pics déjà recouverts de neige, resplendissaient sous le soleil. Tout n'était que beauté tourmentée et nous nous sentions infiniment petits devant cette manifestation gigantesque des forces de la nature.

Nous étions si près du ciel et des centres d'énergies vives de la terre que nous n'eûmes aucune peine à quitter nos corps pour nous laisser pénétrer par elles. Cet état d'extase dura longtemps.

Un vent violent s'élevant tout à coup nous ramena brutalement à la réalité. De lourdes nuées d'orage commençaient à déferler, ne laissant rien présager de bon.

Le retour fût moins glorieux et force nous fût de bivouaquer dans des endroits dangereux et des situations fort inconfortables, mouillés et transis la plupart du temps. A aucun moment pourtant nous ne regrettâmes cette expédition physiquement très éprouvante mais tellement riche de découvertes et de complicité partagées.

Mon fils était devenu un jeune homme, j'étais un homme encore jeune, nous avions vécu en compagnons cette aventure. Pour lui, c'était la première et pour moi peut-être la dernière. Mais de tout cela jamais nous ne parlâmes, vivant au présent l'intensité du moment.

Ayant récupéré nos chevaux, nous ne mîmes que quelques jours pour retrouver nos amis vignerons. Le temps des vendanges était arrivé.

Debout dès l'aube, sous un soleil encore ardent, nous dépouillions avec respect chaque cep de ses grappes mûres et juteuses, ce jusqu'à la nuit tombée. Nous n'avions plus alors qu'un seul désir, dormir et reposer nos dos et nos membres las et douloureux. Le repas du soir ne traînait pas en longueur et les conversations languissaient.

Cependant, la journée n'était pas encore terminée. Il fallait fouler de nos pieds nus et presser pour en extraire jusqu'à l'ultime goutte, le liquide précieux qui se transformerait en vin capiteux. Après interviendrait la science et l'alchimie du maître vigneron qu'Eliaz ne quittait pas d'une semelle. Généreusement, celui-ci lui dispensait son enseignement et partageait ses secrets pourtant jalousement gardés.

En contemplant mon fils attentif et sérieux, si semblable à nous-mêmes à son âge avec ses cheveux bruns, courts et bouclés, j'eus une vision. Il était au domaine, à ce qui aurait pu être ma place. Je voyais son visage heureux sur fond de vignoble et d'oliveraie. Je sentis qu'il était là chez lui, qu'il avait trouvé ses racines. Jamais je n'aurais pensé que la part de mon sang qui coulait dans ses veines était si forte. Sans connaître autrement que par mes récits mon pays natal, il lui appartenait. Il était plus romain que celte et la raison de cela s'imposa à moi tout à coup comme une évidence.

Lorsque je dus quitter Rome contre mon gré, à la suite de mes erreurs de jeunesse, j'avais crû à une punition du Ciel. Grâce à Claudius, j'avais compris que j'étais seul responsable de ces événements. En accepter les conséquences, ne pas me dérober à mon devoir devait me permettre d'évoluer. Les Etres de Lumière qui m'accompagnaient étaient tout amour, à moi de leur faire confiance sans restriction. Pour grandir puisque je n'avais su le faire sans en passer par là, j'avais dû subir la douleur physique, la souffrance morale mais tout cela n'avait pas été vain. Sans ces épreuves, aurais-je eu accès à la Connaissance dans cette vie ? Je l'ignore ! J'avais eu mon libre arbitre, j'avais choisi et en regardant mon passé à la lumière de l'expérience, je ne regrettais rien de mon vécu. Pourtant je compris à cet instant que chaque destin est à la fois individuel et collectif. J'avais rencontré Enora, je l'avais aimée, elle avait été ma femme et mon guide. Mais si le Père et la Mère Universels avaient favorisé notre amour, ce n'était pas aux fins d'un petit bonheur égoïste ou de l'évolution de nos seules âmes, cela procédait de notre mission. De nous deux devait naître cet enfant qui arrivé à l'âge d'homme reprendrait le flambeau.

Ma tâche était maintenant de lui apporter tout ce que j'avais reçu, de construire un homme fort et équilibré et ce, jusqu'au jour maintenant proche où il pourrait voler de ses propres ailes et accomplir la mission qui lui incombait.

 Il irait à Rome. Là seulement la boucle serait bouclée.

* * *

Les précieux plants dont le maître des vignes nous avait fait cadeau ne souffrirent pas du voyage. Nous avions dû acheter un cheval, l'un des nôtres devant les transporter et je pus ainsi offrir une monture à mon fils. Je savais qu'elle lui serait utile dans un temps relativement proche.

Sa joie ma rappela des souvenirs. Mon Dieu que la roue de la vie avait vite tourné !

D'avoir connu d'autres horizons, côtoyé des gens si différents et replongé dans le monde me firent trouver notre communauté bien terne et bien endormie. La Dame en Noir ne s'était pas trompée. Maintenant que la raison d'être des druides n'était plus, notre vieille civilisation tout doucement glissait dans les ténèbres. Elle était comme une terre devenue stérile recouverte par le limon fertile des crues du fleuve de la vie. Quelques mois seulement s'étaient écoulés depuis notre départ mais je trouvai Devrig bien vieilli physiquement. Son esprit était toujours aussi lucide, serein.

Après lui avoir relaté notre périple, je lui fis part de ce que je ressentais et de la tristesse que cela faisait naître en moi.

- Ne réagis pas ainsi, mon Fils. Tout est dans l'ordre des choses. Nous avons apporté notre pierre à l'édifice, cela seul compte. Il ne nous appartient pas de juger du bien fondé du Plan Divin, nous ne sommes pas capables de comprendre ses desseins. L'essentiel est que malgré la turbulence du monde, la Lumière ne s'éteigne pas, qu'elle soit transmise aux générations futures. Où, par qui et comment, cela n'est pas de notre ressort. L'important est qu'elle soit là le jour où les humains retrouveront leur conscience, pour illuminer le monde et transcender la vie.

- Tu as raison Devrig, mais tout a été si vite.

Je lui fis part de ma vision concernant le départ d'Eliaz.

- Je le sais depuis longtemps Yan. Rien n'est dû au hasard et ta venue parmi nous, ton union avec ma fille, ton initiation, rien n'est fortuit. Le temps est bientôt venu où ton fils devra porter la Connaissance là où elle sera nécessaire.

- Et nous, Druide ?

- En ce qui me concerne, j'arrive au bout de mon chemin. Je vais pouvoir retrouver tous ceux que j'ai aimé, me ressourcer, me régénérer... et préparer ma prochaine incarnation.

- Et moi ?

- Ton temps n'est pas encore venu. Il va te falloir me remplacer, aider tous ceux qui restent à ne pas se couper du Grand Tout. La Tradition ne doit pas se perdre, tu es là pour la faire vivre dans le coeur de nos compagnons, tu seras leur Grand Druide, Yan.

* * *

Le vignoble avait maintenant trois ans. Eliaz l'avait soigné avec amour et lui avait consacré beaucoup de temps. Les connaissances acquises lors de notre voyage et le fruit de ses observations lui avaient inspiré un mode de culture différent de tout ce que je connaissais.

Cette année là, pour la première fois on pût parler de vendanges. Avec une joie et une fierté non dissimulées, Eliaz me fit l'honneur d'ouvrir cette cérémonie. C'est avec beaucoup d'émotion que je cueillis la première grappe. Elle symbolisait tans de choses pour moi. Outre notre jeunesse, Petit Frère, elle représentait tout l'effort, l'espoir et la foi de mon fils. Ce fût l'occasion d'une fête joyeuse comme nous n'en avions pas connu depuis longtemps.

J'aurais aimé que sa mère soit à mes côtés pour participer à la liesse générale qui me rappelait l'insouciance et la gaieté de notre amour tout neuf. Elle était là, dans mon coeur mais c'était seulement le souvenir qui l'y faisait vivre.

Après la mort d'Enora, la situation douloureuse et conflictuelle qui régnait en moi et par conséquence autour de moi, l'avait retenue auprès de nous. Elle avait prodigué son aide à tous et grâce à elle, l'équilibre était revenu dans nos vies.

J'avais ensuite compris combien il était égoïste de la retenir de force et j'avais lâché prise. Désormais, je la retrouvais chaque année à Samain et à Beltaine et cela m'apportait tant de paix, de sérénité, que je n'avais plus besoin d'autres manifestations de sa présence. Nos mondes étaient si proches qu'on ne pouvait parler de séparation. Chacun oeuvrait dans sa dimension en attendant de nous retrouver.

C'est donc le coeur en fête que je participai à ces vendanges, avec la fierté légitime d'un père devant la réussite de son fils.

Les jeunes dansèrent assez tard dans la nuit et je voyais avec plaisir mes trois fils s'amuser comme des enfants.

Morgan et Konogan étaient beaux comme des petite dieux. Ils étaient l'image de ce que nous avions été Petit Frère et leur gémellité semblait les rendre très heureux. Ils avaient maintenant atteint l'âge de commencer leurs études. Il y avait suffisamment d'enfants au village pour que nous décidions de leur donner un enseignement collectif. Cette fois encore, je fus promu professeur de latin.

Cela s'ajouta à mes nombreuses activités. Je remplaçais désormais Devrig dans ses fonctions. En plus du côté administratif de sa charge, il m'initia à la partie spirituelle de son rôle de Grand Druide.

Je souriais parfois en pensant à toi, mon frère le moine ! T'arrivait-il de m'imaginer en robe blanche présidant à nos cérémonies ? Certainement pas ! Je suis sûr que cela t'aurait choqué.

Désormais Devrig avait droit au repos que sollicitait son âge. Il passait le plus clair de son temps en méditation et je le voyais chaque jour s'éloigner un peu plus de nous. Il n'avait cependant pas perdu de sa fraîcheur d'âme et de sa gaieté et c'est dans la joie qu'il goûta avec nous au vin nouveau.

Je fus surpris de la qualité de celui-ci. Il n'avait rien de comparable avec celui que produisait le mariage du soleil et de la terre des contrées méridionales mais il possédait des qualités bien particulières. Piquant, pétillant même, il avait une légèreté et une franche gaillardise qui mettait en verve.

Nos compagnons qui n'avaient jamais rien bu d'autre que la cervoise et l'hydromel grimacèrent en riant aux premières gorgées. Peu à peu ils y prirent goût, et à l'unanimité, ils décrétèrent qu'il était digne de devenir le breuvage qui présiderait nos repas de fête.

 

 

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