Chapitre 8

Chapitre 8.

 

Au cours d'une halte de quelques jours, je pris mon cheval et partis à la découverte de ces superbes paysages que l'eau vive, le soleil, la nature du sol et le vent, avaient modelés. C'était pour moi une féerie, un bain de jouvence.

 Au détour d'un sentier, je tombai face à face avec un légionnaire que je reconnus pour être de ma centurie. Ni l'un ni l'autre ne savions quoi dire mais malgré notre différence de classe, le regard que nous échangeâmes nous fit comprendre que nous étions de la même race de terriens. Nous avions en nous la même passion pour la nature.

Après quelques phrases tout à fait banales, je descendis de mon cheval et cheminai à côté de lui. Je ne savais comment rompre la glace mais je sentais que cet homme et moi avions dans nos cœurs beaucoup de choses en commun.

A un méandre de la rivière que nous longions, une plage s'était formée et comme nous transpirions sous nos uniformes, je proposai à mon compagnon de nous baigner. L'eau claire et fraîche était vivifiante et il me sembla qu'en même temps qu'elle débarrassait nos corps nus de la poussière et de la sueur, elle lavait nos âmes de toutes ses scories.

Après avoir nagé vigoureusement, je ne pus m'empêcher de bondir sur mon compagnon et de lui plonger la tête sous l'eau. Il en jaillit comme un beau diable et se précipita sur moi pour me rendre la pareille. Nous jouâmes un long moment comme des enfants et lorsqu’enfin nous allâmes nous allonger au soleil pour nous sécher, il n'y avait plus de différence entre nous.

Je sortis de mon sac quelques provisions de bouche et une petite outre de vin. La promenade et le bain nous avaient affamés et tout disparut rapidement.

- Regarde ce paysage. Comme il est beau ! Je crois n'avoir jamais vu une région où l'on trouve une telle abondance.

- C'est vrai. J'ai parcouru de nombreux pays mais jamais je n'ai vu un endroit pareil.

- D'où viens-tu ?

- De la montagne, bien au-dessus de Rome. Là aussi la campagne est belle, mais rien à voir avec celle-ci.

- Et tu as préféré la vie de soldat ?

- Je n'ai pas eu d'autre choix, je suis le dernier de cinq enfants.

- C'est un peu la même chose pour moi.

- Oui, mais toi Centurion, tu aurais pu choisir un autre état vu la noblesse de ta famille.

- Tout ce que j'aimais, c'était la terre et mon... Oh ! Tout cela serait trop long à t'expliquer.

- C'est la troisième fois qu'avec l'armée je viens ici et à chaque passage, je me sens un peu plus attiré par cette contrée. Lorsque tout sera fini, je crois que je démissionnerai et viendrai m'y installer et fonder une famille.

- Tu n'es pas fait pour la vie militaire, n'est-ce pas ?

- Pas plus que toi, Centurion, cela se voit tout de suite.

- Tu as raison. Pourquoi me suis-je embarqué dans cette galère ?

L'homme m'inspirait confiance et cela me faisait du bien de parler ainsi. Il y avait si longtemps que je n'avais pu ouvrir mon coeur à quelqu'un.

- Tel est ton destin. Il n'y a pas de hasard, tu sais. Il y a une raison à ta vie actuelle et peut-être en comprendras-tu le sens plus tard. Ne te décourage pas.

- Tu es chrétien ? Tu parles comme quelqu'un qui a une profonde croyance.

- Croire ne suffit pas, c'est accepter pour siennes des idées émises par d'autres. Nous avons chacun notre chemin et il ne peut s'inscrire dans aucun dogme. Tu dois vivre ta foi, écouter et comprendre ce qui est en toi. Tu as la clé. A toi de chercher et trouver la porte à laquelle elle correspond.

J'étais abasourdi ! Comment cet homme fondu dans un troupeau d'êtres primaires, de brutes épaisses, pouvait-il tenir un tel langage ?

Il sembla entendre mes pensées et se mit à rire.

- Kristos est présent en chaque être humain et sa présence doit être perçue à tous les échelons de l'humanité.

- Mais dis-moi, arrives-tu à parler de Dieu à tes compagnons ?

- Parler ne sert souvent à rien, être est plus important.

Je méditai longuement ses paroles et il me laissa à mes pensées. Brusquement, j'eus envie de m'épancher et lui racontai ma vie, toi Marianus, moi, tout.

- Il y a en toi une profonde blessure Frère. Tu la portes jusque sur ton visage. Il y a des hommes à qui Dieu demande beaucoup.

- Mais mon frère n'a par l'air de souffrir autant que moi. Je crois que la différence vient du fait qu'il est prêtre de la nouvelle religion de Jésus et qu'il se donne à Lui tout entier. Il a choisi la bonne voie.

- En es-tu sûr ? Jésus n'a pas créé de religion, il était contre les dogmes, il l'a prouvé. Cela rend les gens paresseux et irresponsables.

- Mais pourtant...

- Son message est tout autre Frère. Il est venu à l'aube de cette ère nouvelle pour apporter à l'humanité ce dont elle a besoin pour y entrer. Mais tout ce qu'il a dit existe de toute éternité !  Et voilà que déjà tout est déformé et que la lumière qu'il nous a apportée, commence à se ternir.

- Mais mon jumeau ?

- Ton frère a le coeur pur, j'en suis sûr puisqu'il te ressemble. Mais saura-t-il éviter de tomber dans les pièges, dans l'obscurantisme que peu à peu cette nouvelle église va engendrer. Non, il n'a pas choisi la voie la plus facile. Toi, tu as l'âme encore vierge, tu vas vers ton destin et je crois qu'il te réserve de grandes surprises.

- Mais dis-moi, ne serais-tu pas devin ?

- Non, mais je sens les choses, je lis dans les esprits et le tien est un livre ouvert.

- J'aimerais que nous puissions rester proches, mais comment faire ?

Il se mit à rire.

- Tu n'as pas d'aide de camp Centurion, il est temps que tu en prennes un.

- Merveilleuse idée ! Mais devant mes hommes, je ne pourrais pas être le même avec toi qu'en ce moment. Tu le comprends, n'est-ce pas ?

- Me prends-tu pour un naïf ?

- Une chose m'intrigue. D'où te viennent toute cette science, ces connaissances ? Tu n'es pourtant pas un érudit ?

- J'ai déjà vécu de nombreuses vies et disons que je conserve en mémoire ce qui m'est nécessaire pour mener à bien ma mission actuelle.

- Mais moi, je ne me souviens d'aucune des miennes !

- Il doit donc en être ainsi. Mais rien ne dit que dans ta prochaine réincarnation, le voile ne se soulèvera pas pour ramener dans ta conscience des événements propres à t'aider dans ton évolution.

Jamais personne ne m'avait parlé ainsi de ces choses. Tout cela était pour moi bien nouveau, bien mystérieux et j'avais besoin d'y réfléchir. Mon fardeau me semblait plus léger et cet homme avait semé dans mon coeur une nouvelle espérance.

Le soleil déclinait lorsque nous reprîmes le chemin du retour. C'est chacun de notre côté que nous arrivâmes au camp où déjà on allumait les feux.

* * *

Le lendemain, je nommai officiellement le légionnaire Claudius au poste d'aide de camp attaché à ma personne et une nouvelle vie commença pour moi.

Il avait un sens pratique très développé et mon ordinaire s'améliora considérablement, le sien aussi je pense.

Nous n'avions aucun contact dans la journée, sauf lors des temps de repos, mais la proximité de ses camarades nous interdisait toute conversation.

Le soir, après que la paix soit descendue sur le camp, il venait souvent me rejoindre sous ma tente et nous avions alors le temps de parler longuement. Là, les rôles étaient inversés, il devenait le maître et m'apportait une autre vision spirituelle de celle qui était la mienne. Il m'ouvrait des horizons nouveaux en me faisant comprendre la lente évolution de la vie, de la matière dense à l'éther, dans le temps et dans l'espace. Il me parlait aussi des grands courants religieux et des civilisations auxquels ils étaient rattachés, de leur naissance à leur mort.

Souvent je lui posais des questions auxquelles il ne répondait pas et très vite, je compris que la réponse viendrait en son temps, lorsque mon esprit serait capable de comprendre.

Un soir, je lui dis :

- Quel merveilleux hasard Claudius, que nous nous soyons rencontrés au détour de ce sentier !

- Je te l'ai déjà dit Joanes, le hasard n'existe pas.

- Mais alors, comment, pourquoi ?

- Ton âme appelait si fort que j'ai été mis sur ton chemin pour t'aider, c'est la seule réponse logique, tu ne crois pas ? De même, au cours de ma vie, j'ai rencontré des êtres éclairés au moment où j'en avais besoin et où je le désirais ardemment bien qu'inconsciemment.

- J'espère que nous resterons longtemps ensemble Claudius !

A cela, seul le silence me répondit. Un autre soir, il m'arriva de redire la même chose :

- J'espère que rien ne nous séparera.

- Joanes, quand tu cueilles les fruits d'un arbre, au bout d'un moment il n'y en a plus. Alors tu vas vers un autre arbre ou tu cherches d'autres fruits qui mûrissent plus tard en saison. Il en est de même de notre type de relation. Nos chemins ne font que se croiser. L'un comme l'autre, nous devrons aller plus loin pour que se présentent d'autres fruits de la connaissance. Toi et moi allons vers le même but mais pas forcément par la même route.

- Il me semble bien loin ce but et je ne sais même pas ce qu'il est exactement.

- Il est à la fois très loin et très proche car il est au fond de toi.

- Au fond de moi ?

- Quand tu regardes le tronc d'un arbre, tu ne vois que l'écorce qui le recouvre. Sous celle-ci il y a l'aubier, puis de nombreux cercles de bois et tout au centre, invisibles mais bien réelles, il y a la moelle, la sève. Sans elles, pas d'arbre, tu es d'accord ?

- Bien sûr !

- Et bien au fond de toi, il y a cette vie née du mariage de la terre et du soleil, de la Mère et du Père Universels, du Grand Tout dont tu fais partie.      Dépouille-toi de cette matière dense de l'arbre, plonge dans ce grand courant de vie qui est amour et lumière, au delà de la densité de la matière. Tu y trouveras l'Harmonie Universelle, tu seras libéré de tes chaînes.

- Mais comment ?

- En sachant et en étant. Ne cherche pas à l'extérieur ce qui est à l'intérieur car il en est au-dehors comme il en est au-dedans. C'est ta façon de te servir de ta propre lumière, de ton propre regard qui font des événements ce qu'ils sont.

- Si je comprends bien, je subis en ce moment le châtiment de mes erreurs passées ?

- Nécessaire est l'échec et utile la victoire. Tout est matériau pour ton évolution si tu sais t'en servir. Ce qui fait ta vie d'aujourd'hui, c'est aussi et surtout le résultat de toutes celles vécues avant. Tu n'en es pas conscient, mais le seul fait de le savoir doit t'aider à comprendre et à partir de là, mieux maîtriser ton destin.

- Mais je n'ai aucune idée de ce qu'il est !

- Sois à l'écoute, demande et remercie car tu seras guidé. Tu n'es pas seul Joanes, les Grands Etres de Lumière ont pour mission de t'aider pour peu que tu les en pries.

J'avais hâte d'arriver à la fin de chaque journée pour reprendre nos entretiens. En fait, Claudius ne m'enseignait aucune doctrine, il se contentait de m'ouvrir des portes. Tout ce qu'il me disait était à la fois proche et très loin de l'enseignement du prêtre à la villa de notre enfance et Jésus prenait une toute autre dimension.

Confusément, je pressentais que la religion que tu avais faite tienne Petit Frère, s'était engagée dans une voie trop humaine qui allait à l'encontre de la Parole du Messie. Je craignais pour toi, si pur, si entier, si zélé !

Je ne savais pas à quel point mes craintes étaient justifiées !......

* * *

Les jours s'écoulaient et nous progressions vers le nord. Le paysage avait changé, le vent d'ouest charriait des effluves maritimes. Le sol marécageux devenait dangereux et nous dûmes contourner cette zone où terre et eau de mer se mariaient à l'abri des hautes herbes.

Une angoisse montait en moi, que je n'arrivais pas à définir.

Pendant les longues heures de marche, je pensais à toi Petit Frère, j'étudiais la nature et je vivais dans l'attente de la nuit où Claudius venait me retrouver.

Presque toujours, bien que nous aimions parler de tout et de rien, rire comme des jeunes gens de notre âge, notre conversation prenait un tour spirituel. Je dois avouer que beaucoup de choses passaient largement au dessus de ma tête et que je ne trouvais pas toujours réponse aux questions que je me posais.

Claudius riait lorsque je lui en faisais la réflexion :

- Souviens-toi seulement de ce que je te dis Joanès, l'heure viendra où tout sera clair pour toi. Laisse le temps faire son œuvre. Le grain que l'on sème ne germe et ne lève pas du jour au lendemain, la récolte semble toujours bien lointaine des semailles ! Le temps, tel que nous humains le concevons, génère souvent l'impatience alors qu'au regard de l'éternité, c'est à peine une goutte d'eau dans la mer.

Quelle sagesse, quelle paix émanaient de cet homme et comme j'aurais aimé que tu sois avec moi pour l'écouter !

* * *

Je savais désormais de quoi mon anxiété était faite. Chaque jour nous rapprochait du but de notre expédition et de l'affrontement avec les Celtes.

Un soir, je n'y tins plus.

- Claudius, j'ai peur !

- Je sais, Joanes.

- Je ne suis pas fait pour la guerre et pourtant, le Centurion que je suis n'a pas le droit de se dérober. Que dois-je faire ?

- Ton devoir, Centurion.

- Mais tout cela est tellement à l'opposé de ce que je pense. J'aime et je respecte la vie sous toutes ses formes. Ces Armoricains ne sont en rien mes ennemis. Pourtant, je vais faire couler leur sang et celui de mes hommes !

- Je te l'ai déjà dit, tel est ton destin et ce n'est pas pour rien que cette épreuve t'est donnée. Ne me demande pas pourquoi, je ne saurais te le dire mais c'est ainsi, tu dois aller jusqu'au bout. Pense quand même que ce n'est pas toi qui as décidé de cette guerre et que tu ne peux seul te dresser contre Rome. Tu n'as pas le choix, tu dois obéir.

- Et toi Claudius, cela ne te pose-t-il pas de problème ? Tu n'en parles pas.

- Je n'en suis pas à ma première campagne mais dès mon engagement, je me suis porté volontaire pour soigner les blessés. J'ai eu le temps d'acquérir certaines connaissances qui s'ajoutent à celles que j'avais avant. Je n'ai donc pas à me servir du glaive et de la lance. Mon rôle est de porter secours à tous ceux qui souffrent.

- Oh ! Je t'envie Claudius !

- Je ne suis pas Centurion!...

Il se mit à rire, mais sans moquerie, un rire teinté de tendresse et de compréhension.

A dater de ce jour, il fit tout pour m'aider à me préparer aussi bien mentalement que matériellement, à m'apprendre autant qu'il le pouvait mon métier.

Nous arrivâmes bientôt à l'embouchure d'un large fleuve que nous dûmes suivre en amont, jusqu'à ce qu'il fût possible de le traverser. En ce début d'été, les eaux étaient basses et cela se fit sans trop de difficultés.

Chaque nuit, je faisais des cauchemars et me réveillais en nage et la gorge nouée.

Oh! Petit Frère, si tu savais combien tu m'as manqué ! Je t'envoyais message sur message mais il me semblait que tu t'éloignais et que nos âmes avaient beaucoup de mal à se joindre.

Nous longions maintenant une côte de plus en plus sauvage où roches déchiquetées et longues plages de sable se succédaient.

Quel ne fût pas mon étonnement de découvrir les mouvements de la mer tantôt proche, tantôt reculant vers l'horizon pour ensuite revenir. J'étais émerveillé, fasciné. Quelle différence avec "notre" mer qui n'avait pas de ces fantaisies.

Mais ces découvertes ne suffisaient pas à ma sérénité d'autant que je sentais mes hommes devenir nerveux, excités, avides d'en découdre.

Inexorablement, nous approchions du but. J'espérais toujours voir arriver un messager de Rome apportant l'ordre de faire demi-tour, mais tout cela n'était qu'un rêve et un soir.......

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